Avec au compteur près de cent représentations, Tosca mise en scène par Werner Schroeter à l’Opéra de Paris ne se range pas au rayon des nouveautés. En 2009, Brigitte Cormier nous rappelait que cette production date de l’ère Berger. Elle fut à sa création tout à la fois prétexte à grève et au Cavaradossi de Placido Domingo. En 2011, Sylvain Angonin revenait sur un dispositif scénique envisagé à la mesure de l’Opéra Bastille, c’est-à-dire gigantesque : la peinture monumentale de la Marie-Madeleine, la table de Scarpia suffisamment longue pour accueillir un banquet gaulois, la sculpture imposante de l’Ange qui, suspendue dans les cintres, préfigure le saut spectaculaire de Tosca. Car l’héroïne de Puccini se suicide ici selon la règle, en se jetant dans le vide. Point final d’une représentation qui ne tente jamais la transposition ou l’interprétation. Tout juste s’autorise-t-elle un inutile aparté au début du troisième acte en encombrant le prélude orchestral d’une rixe entre soldats.
Dans ce décor démesuré, tout est affaire de proportion. La nuance et l’implicite ne sont pas de circonstance, seule la démonstration fait foi. Une aubaine pour le Cavaradossi de Marco Berti qui a de la puissance à revendre et dont les intonations parfois approximatives s’abritent derrière les décibels. Pour autant, le ténor sait qu’ « E lucevan le stelle » s’il n’est pas imprégné de sentiments peut faire autant d’effet qu’une chanson napolitaine et retient alors le volume pour privilégier l’expression, au risque de déconcerter le public qui oublie d’applaudir. A l’inverse, une salle aux dimensions plus humaines mettrait mieux en valeur la Tosca de Martina Serafin dont beaucoup d’intentions se diluent dans l’espace. Pourtant la voix a du caractère, le chant est habité sur toute la tessiture, chaque réplique pensée conformément à la psychologie du personnage, l’aigu que l’on aurait pu croire insuffisant au premier acte s’affirme par la suite. Mais l’Opéra Bastille ne se nourrit pas de subtilités, il lui faut autant de présence que d’intelligence. Sergey Murzaev en fait aussi l’expérience. Son Scarpia, voulu insidieux au premier acte, change son fusil d’épaule au deuxième pour épouser le parti de l’emphase, au risque de toucher à ses limites. Mais ce choix, à court terme, est le bon. A grands éclats de voix, le baryton impose ce qu’il n’avait fait auparavant que suggérer.
Ce qui est vrai pour les premiers rôles ne l’est pas moins pour les seconds. Nicolas Testé ne fait que passer en Angelotti quand Méphisto à Tours nous a appris sa stature, et Luciano Di Pasquale, remarquable Bartolo à Bordeaux le mois passé, n’offre en sacristain qu’un pâle reflet de ses talents comiques et vocaux. Seuls les chœurs, impressionnants de cohésion dans le « Te Deum », et l’Orchestre, puissamment figuratif sous la baguette de Paolo Carignani, demeurent ici tels qu’en eux-mêmes : excellents.
Version recommandée :
Puccini : Tosca (Intégrale 1953) | Giacomo Puccini par Interprètes Divers