Que Iolanta, l’ultime opéra de Tchaikovski se prête particulièrement bien à la version de concert est désormais un fait établi. Une tentative malheureuse de mise en scène il y a trois saisons à Toulouse nous en avait déjà persuadé. L’absence d’action, la construction du livret avec son inépuisable succession d’entrées et de sorties, le découpage de la partition en numéros, la moitié d’entre eux comme autant d’occasions de prouesse pour les solistes : tout concourt à privilégier ce mode de représentation, même si l’opéra en tant que genre ne devrait normalement pas l’admettre.
L’autre avantage d’une Iolanta en version de concert est d’offrir au rôle-titre l’opportunité d’exposer son art aussi bien, voire mieux qu’en récital : pas de rupture entre chaque air mais tout de même des plages de repos, un personnage unique plutôt qu’une enfilade de rôles à composer différemment, une unité de narration propice à la concentration… Anna Netrebko, dont le sens du marketing n’est plus à démontrer, l’a bien compris, elle qui a choisi de faire tourner l’ouvrage sous cette forme dans les plus grandes villes d’Europe. Le triomphe qui accueille cette matinée parisienne lui donne amplement raison.
Triomphe et non succès. Ce dernier était de toute façon assuré. L’écriture du rôle, intensément lyrique, correspond aujourd’hui exactement au soprano d’Anna Netrebko. La langue russe du livret est la sienne, la voix depuis sa plus tendre enfance a appris à épouser les contours des phonèmes slaves, doux et âpres à la fois. Le personnage même de Iolanta, jeune fille aveugle d’une bonté innocente, répond parfaitement à la pureté du timbre. A ces facteurs, ajoutons la direction expérimentée d’Emmanuel Villaume, gage indispensable de cohésion, un chœur de chambre slovène homogène et une troupe de solistes aguerris qui, tels des vedettes en première partie d’un spectacle de variété, se chargent de chauffer la salle. Parmi eux, citons Vitalij Kowaljow (le Roi René), basse ukrainienne jusqu’au bout des cordes vocales qui avec « Gaspot’ moj, jesli greshen ja » déclenche la première salve d’applaudissement ; Vassily Savenko (Ibn-Hakia) dont l’usure relative de la voix humanise le portrait du médecin mauresque et s’avère surtout idéale pour mettre en valeur Lucas Meachem, l’autre baryton de la soirée, en pleine possession de ses impressionnants moyens, qui ne recule devant aucun effet pour enflammer le public ; Sergey Skorokhodov enfin, ténor intrépide, capable de séduction mais avant tout suffisamment vaillant pour donner la réplique à sa partenaire dans cette clé de voute de la partition qu’est le duo entre Vaudemont et Iolanta.
Lorsqu’ainsi toutes les conditions de succès sont réunies, que faut-il de plus pour les transmuer en triomphe ? Une présence exceptionnelle, une puissance sonore, une palette de nuances, une maîtrise du volume, un aigu rayonnant, une intensité d’expression qui peu à peu réchauffe la salle tel un foyer,… Toutes ces qualités dont fait ici preuve Anna Netrebko et qui mettent le public debout en délire, mieux que conquis : amoureux.