On connaît le goût comme le talent de Leonardo García Alarcón pour l’écriture. On se souvient ainsi de l’achèvement magistral d’El Prometeo, de Draghi. Auparavant, son intimité à la musique baroque, méditerranéenne tout particulièrement, l’avait conduit à la confection d’un pasticcio qui traverse allégrement les saisons : « Amore siciliano ». Une mélodie, que lui avait révélée Francesca Aspromonte à la fin d’un repas, lors de la production de l’Elena de Cavalli, en avait été le déclencheur. En pas moins de 17 couplets, cette chanson traditionnelle, d’origine calabraise, narrait les souffrances d’une certaine Cecilia, Tosca avant l’heure, dont le père de son enfant était emprisonné. Celle-ci se voyait proposer sa libération par un « capitan » contre son corps. Son sacrifice sera vain puisqu’elle apprend à la fin que son amant va être fusillé. Fasciné par la mélodie comme par l’histoire, Leonardo García Alarcón s’est attelé à composer une sorte d’opéra en un prologue et deux actes, empruntant à quatre siècles de musiques ancrées à Naples et en Sicile, Quito Gato, son ami guitariste-théorbiste, réalisant les arrangements. La réécriture s’enrichit ainsi d’une fugue à 5 parties, de la main du chef argentin, dont le sujet n’est autre que le timbre de la chanson, sur laquelle aurait pu s’achever l’ouvrage. Le mixage de musiques savantes et populaires, si vivace jusqu’au XIXe siècle, renforce son caractère traditionnel et permet de toucher le plus large public. Comment résister à l’endiablée tarentelle du 2e acte ? Une mise en espace, avec déambulations, assortie de costumes renouvelés des femmes, renforce l’expression dramatique.
L’élégance, le raffinement se conjuguent aux accents populaires. Ainsi, l’intervention de Don Lidio (« Cantigitulu, ch’è mortu u ciucciu miu »), qui relève de cette veine, est-elle illustrée par Valerio Contaldo, dont la voix et le jeu n’appellent que des éloges. Le dispositif n’autorisait pas le sur-titrage, et c’est bien dommage, car les textes (parfois dialectaux) sont savoureux et méritent l’attention. A l’autre extrémité de l’écriture nous trouvons cette Canzona francesa cromatica (sur un sujet ascendant, rare) par laquelle s’ouvre le second acte. La richesse musicale est constante. La dernière scène, où Cecilia apprend de la bouche de Peppino qu’il va être fusillé, combine toutes les expressions, de la tarentelle à la plainte de Sigismond d’India (« Piangono al pianger mio ») comme à la belle fugue à 5 voix écrite par Leonardo Garcia Alarcon. Quelle que soit la richesse des variations autour du thème de la chanson de Cecilia, sa longue et belle réitération au terme de l’ouvrage, après la fugue, n’est-elle pas superfétatoire ? Le caractère obsessionnel de la mélodie de cette péroraison n’engendre-t-il pas une certaine lassitude ? Ce seront les seules réserves, car l’interprétation qu’en donnent chacun des chanteurs et instrumentistes est bouleversante, le long silence, puis les acclamations du public en témoignent.
La distribution de la création (à Ambronay en 2014) a été renouvelée. Seul Matteo Bellotto (Peppino) demeure. Pour avoir (re)visionné l’enregistrement original peu après le concert, sans comparer les mérites de chacun, on peut affirmer que la production a atteint une maturité rayonnante. Il y a moins d’un an, Ana Vieira Leite remportait, ici même, le premier prix du Concours international de chant baroque. Pleinement épanouie, touchante, la Cecilia qu’elle incarne ce soir est juste, servie par des moyens exceptionnels qui la promettent à une belle carrière. L’équipe qui l’entoure, familière de longue date des productions de la Cappella Mediterranea, n’a plus à faire ses preuves. Lucía Martín-Cartón et son timbre si chaleureux, Filippo Mineccia, puissant contre-ténor, Valerio Contaldo, magnifique ténor et Matteo Bellotto, dont la solidité et la conduite de la ligne sont appréciés, forment un ensemble d’une rare complicité. Quant aux instrumentistes animés du positif par Leonardo García Alarcón, chacun d’eux donne le meilleur de son talent à cette belle réalisation. Bien plus qu’un pasticcio, un spectacle populaire, propre à séduire le plus grand nombre, sans concession.