A tout seigneur, tout honneur : il revenait légitimement à George Petrou d’inaugurer, le 12 mai dernier, l’Internationale Händel Festspiele Göttingen, puisqu’il en assure désormais la direction artistique. Guest star de cette intronisation, Bruno de Sá faisait également une entrée remarquée dans le saint des saints en compagnie de Myrsini Margariti, déjà applaudie in loco et partenaire d’élection le temps d’un dialogue pastoral (Aminta e Fillide). Toutefois, la première partie du concert d’ouverture alignait non pas une, non pas deux, mais vingt-six étoiles, qui brillent depuis des lustres dans le ciel du festival : les musiciens du FestpielOrchester Göttingen – le FOG, comme on le surnomme affectueusement, acteur emblématique de la manifestation. Fondée en 2006 par Nicholas McGegan, cette phalange rassemble des instrumentistes issus de formations aussi renommées que l’Akademie für Alte Musik Berlin, le Concerto Köln, le Freiburger Barockorchester, the Orchestra of the 18th Century ou encore the Philharmonia Baroque Orchestra. Loin de se produire exclusivement à Göttingen, elle est aussi invitée entre autres au Festival d’Edinburgh, au Händel-Festpiele Halle ou encore au Théâtre de Drottningholm.
Les concerti grossi n°1, 2, 4 et 5 de l’Opus 3 offrent une nouvelle démonstration du niveau d’excellence atteint par cet orchestre, Petrou sculptant une pâte extrêmement malléable et aux textures magnifiques (quels bassons !). Le chef imprime d’emblée sa griffe, puissante et féline, son goût pour les tempi vertigineux (la gavotte endiablée du concerto n°2) et les contrastes exacerbés. Mais a-t-on jamais entendu le drame sourdre de manière aussi menaçante dans l’Adagio du concerto n°5 ? Du théâtre, certes, mais de la poésie également, comme dans cette cantilène du hautbois commentée par une paire de violoncelles (concerto n°2) – une émulation de chaque instant, en vérité, qui renouvelle plus d’une fois notre écoute. Sous la conduite de George Petrou, le FOG ne se contente pas d’accompagner les chanteurs : il les met en scène, avec un sens aigu de la caractérisation qui épouse les fluctuations du sentiment et innerve les danses (menuet, gigue, bourrée..) sur lesquelles Haendel élabore plusieurs numéros.
© Frank Stefan Kimmel
Aminta e Fillide (1708) constituera pour le Saxon un formidable réservoir d’idées : dans le catalogue de ses œuvres (Händel-Handbuch), Bernd Basel identifie plus d’une trentaine de réemplois divers, d’Agrippina à Belshazzar, en passant par Rinaldo et Giulio Cesare. Ils ont probablement porté préjudice à cette vaste cantate, la plus arcadienne de toutes celles écrites par Haendel, qui n’attire guère les interprètes. Le fait qu’elle soit composée pour deux sopranos représente sans doute aussi un handicap, les producteurs de concerts comme de disques préférant en général réunir des chanteurs de tessitures différentes. Si Nuria Rial l’a donnée avec Philippe Jaroussky, le contre-ténor n’avait pas l’extension prodigieuse de Bruno de Sá, le plus naturel et le plus pur des soprani masculins qu’il nous ait été donné d’entendre. La fracassante entrée d’Aminta, qui interrompt brusquement la fuite de la chaste Fillide, tient toutes ses promesses et les suraigus du chanteur au gré de sa première aria (« Fermati, non fuggir ! », tirée d’Il Sedecia de Scarlatti) revêtent une ampleur spectaculaire dans l’acoustique de l’élégant auditorium de l’Université. Les coloratures fusent et crépitent (« Al dispetto di sorte crudele »), mais la sensibilité de l’artiste retient davantage notre attention, singulièrement sa pudeur, tout en délicatesse, dans l’ensorcelante sicilienne senza cembalo sur tapis de pizzicati (« Se vago rio ») au cœur de laquelle le compositeur cite La Vilota, une chanson populaire vénitienne que s’approprieront également Caldara, Campra et Mozart.
Taillée sur mesure pour Margherita Durastanti, future Agrippina qui venait de créer quelques semaines plus tôt le rôle de Maria Maddalena dans La Resurrezione, la nymphe Fillide requiert un soprano nettement plus central qu’Aminta. L’organe plutôt charnel et chaud de Myrsini Margariti s’oppose – idéalement, faut-il le préciser – au timbre lumineux et si juvénile de Bruno de Sá. En revanche, cette interprète d’Ilia (Idomeneo), d’Alcina, mais aussi de Morgana et de Bellezza (Il Trionfo del Tempo e del disinganno), semble d’abord un peu bridée par son nouvel emploi : le ravissant « Fiamma bella », un des nombreux joyaux que Händel « emprunta » à Reinhard Keiser, la trouve sur son quant-à-soi et ne décolle jamais vraiment. Néanmoins, elle gagne en assurance au fil de la soirée et s’épanouit dans les variations (« Fu scherzo, fu gioco ») pour laisser libre cours à son tempérament lorsque la jeune fille s’abandonne enfin (« È un foco quel d’amore »). Grisante apothéose, nos tourtereaux d’un soir reprennent en bis leur duo final et Fillide de se montrer plus entreprenante que son berger transi, qu’elle enlace voluptueusement.