Amadigi sera à l’affiche du Théâtre de l’Athénée du 25 au 30 janvier, et les mélomanes parisiens ont tout lieu de se réjouir qu’on leur propose enfin autre chose que les sempiternels Giulio Cesare ou Alcina. Les dernières représentations scéniques de ce Haendel-là remontent à 1996, quand la Salle Favart avait accueilli une production proposée par l’Opera Theatre Company de Dublin. Hélas, alors que l’on a vu récemment d’excellentes versions de concert, animées d’une réelle vie théâtrale, le spectacle présenté en création à Sénart avant son arrivée à Paris intra muros ne convaincra pas forcément de la nécessité d’une version scénique pour les opéras de Haendel.
Bernard Levy semble avoir jusqu’ici fait une unique incursion dans la mise en scène d’opéra, un Didon et Enée en 2010. A en juger d’après les photos de ce premier spectacle, il fait preuve d’une étonnante constance dans ses choix esthétiques, puisque les amours malheureuses de la reine de Carthage vues par Purcell se déroulaient déjà entre trois murs de parking en béton sale sur lesquels étaient projetés la traduction du livret et des vidéos fort limitées. Pour narrer les aventures du paladin Amadis de Gaule et nous faire voir les sortilèges de la magicienne Mélisse, il suffirait donc d’éclairer en bleu ces parois grisâtres, ou de faire apparaître, en guise de démons et de furies, deux grands gaillards mal déguisés en vieilles femmes ? Une vilaine chaise métallique et un banc pour tout accessoire, voilà qui conduit inévitablement à faire régulièrement s’asseoir l’un des protagonistes pendant que l’autre reste debout. Des costumes contemporains, pourquoi pas, mais encore faudrait-il que ces personnages aient autre chose à faire qu’arpenter un bout de terrain gravillonneux. On en arrive tout de même très vite à penser que les mêmes artistes, en tenue de concert, debout devant l’orchestre, auraient pu avoir autant d’impact sinon davantage. Si chacun incarne au mieux son personnage, grâce à un réel investissement dramatique, tout l’aspect scénique reste bien pauvre.
Evidemment, Amadigi offre l’avantage d’être sans doute l’opéra de Haendel le moins lourd à monter. Contrairement à l’Amadis de Lully, il n’y faut que quatre chanteurs (cinq d’après le livret original, cependant) et un orchestre d’une vingtaine d’instrumentistes. On comprend que Jérôme Correas ait choisi cette œuvre-là pour la monter avec son ensemble Les Paladins, tout comme Marc Minkowski en avait jadis fait l’objet d’une de ses toutes premières intégrales discographiques. Le baryton devenu chef dirige cette partition avec mesure, sans éclat, mais avec un soin déclaré pour les récitatifs, où il cherche à retrouver une certaine liberté de la langue parlée. On est un peu surpris de lire qu’il souhaite, pour les arias, « briser le carcan de ces airs à a structure rigide, en interrompant une phrase, en faisant deviner au public certains mots-clés ». Heureusement, il n’y paraît pas durant la représentation, et peut-être est-il revenu sur cette intention initialement affichée.
L’on se dit aussi qu’une version de concert aurait peut-être mieux l’affaire lorsqu’on apprend que les virus et autres bestioles n’ont pas épargné la distribution. Une annonce préalable nous apprend qu’une des chanteuses est souffrante, mais assurera son rôle, et il nous est rappelé ce qu’un communiqué de dernière minute nous avait appris quelques jours auparavant : Rodrigo Ferreira, frappé par « un souci médical l’empêchant d’être en pleine mesure de ses capacités vocales », incarne bien le rôle-titre, mais uniquement pour les récitatifs, les airs étant chantés sur le côté de la scène par Sophie Pondjiclis, qui n’a bien sûr pas eu le temps d’apprendre tout ce texte déclamé ni de mémoriser toute la mise en scène. Le problème, c’est que le contre-ténor chante les récitatifs de sa voix « naturelle », c’est-à-dire sa voix de baryton, en transposant vers le bas, tandis que les airs interprétés par la mezzo le sont évidemment à la hauteur « normale ». Malgré cette discordance étrange, une immense reconnaissance est due à ces deux artistes, l’un pour avoir joué son personnage et mimé une grande partie de la représentation, l’autre pour avoir admirablement chanté les arias. En entendant les qualités déployées par Sophie Pondjiclis, en termes de virtuosité et d’expressivité, comment comprendre que cette superbe artiste soit confinée aux seconds rôles du répertoire romantique, aux duègnes et aux mères, et ne soit pas sollicitée pour les opéras baroques où elle s’épanouirait pleinement ? Mystère, vraiment, mais peut-être les représentations suivantes (où elle tiendra le rôle sur scène également) lui permettront-elles d’être enfin remarquée. Aurélia Legay, l’autre malade, ne paraît pas trop souffrir de cette indisposition, à l’exception de quelques notes moins assurées en début de spectacle, et livre une impressionnante Mélisse : dans son cas aussi, on s’étonne qu’une soprano dotée d’un tel tempérament soit si peu et si mal employée la plupart du temps. Amel Brahim-Djelloul est une superbe Oriane, fort émouvante dans son jeu et d’une élégance déjà mozartienne dans son chant : encore une artiste qu’on aimerait entendre plus souvent. Fort belle découverte enfin avec Séraphine Cotrez, dotée d’un de ces timbres graves dont la rareté fait tout le prix, et qui semble parfaitement préparée pour une belle carrière.
Prochaines représentations : Le Perreux 17 janvier ; Paris (Athénée) 25, 26, 27, 29, 30 janvier ; Maisons-Alfort 2 février ; Saint-Quentin 6, 7 février ; Massy 16, 17 février ; Compiègne 8 mars