La reprise, 22 ans après sa création, de la production de Robert Carsen d’Alcina, confirme malheureusement ce que celle de 2014 ne montrait que trop : cette scénographie léchée ne nous parle plus. On sature de ces embrassades et effeuillages constants, on s’agace des quelques ressorts comiques mal à propos et l’on aimerait que les draps talqués du lit soient enfin changés…
Non, l’intérêt de cette reprise réside dans la distribution, dont trois débuts à l’Opéra de Paris et la présence en fosse du Balthasar Neumann Ensemble. Jeanine de Bique possède une partie des charmes de l’enchanteresse et chacun de ses arias renferme des beautés diaphanes. Elle est diminuée par une projection modeste et un bas de la tessiture encore peu étoffé mais elle met à profit de belles variations dans l’aigu et un tempérament explosif pour se tailler la part du lion. De toutes ces qualités, il reste à mieux doser la gradation… Difficile en effet de faire plus déchirant et juste que son premier « ah mio cor ! ».
Roxana Constantinescu peine en revanche à s’imposer en ce soir de première. La vocalisation reste sommaire de même que la caractérisation. Troisième début sur les planches de Garnier : Rupert Charlesworth déploie une ligne toute mozartienne couronnée d’aigus lumineux qui font de son Oronte un amoureux transi. Nicolas Courjal (Melisso) ne dispose que d’un air pour se rappeler au bon souvenir des Parisiens après ses débuts en 2019, mais c’est bien suffisant ! Gaëlle Arquez réussit, malgré un volume limité, airs de bravoure comme élégies. Sa vocalisation aisée se déploie sur une ample tessiture qui lui autorise variations et nuances du plus bel effet. Enfin Sabine Devieilhe triomphe. Elle réveille le Palais Garnier juste avant le premier entracte avec un « Tornami a vagheggiar » mené avec une joie communicative avant de distribuer des aigus cristallins et des nuances des plus subtiles tout le reste de la soirée.
Les chœurs de l’Opéra national de Paris délivrent une excellente prestation lors de leur deux courtes interventions. En fosse, le Balthasar Neumann Ensemble ravit à tous les points de vue (n’était-ce les cors dissipés). Le soyeux des cordes le dispute à la poésie des vents. Les solistes (violons, violoncelles, flûtes) offrent de véritables petits concertos en guise d’accompagnement du plateau. Enfin, le geste de Thomas Hengelbrock confère souplesse ou mordant à cette phalange remarquable.