Le Teatro Verdi de Busseto ne compte que 300 places. Assister à une représentation d’opéra dans ce petit théâtre est toujours un privilège, qui se double d’une expérience inédite lorsqu’il s’agit d’une œuvre telle qu’Aida, que l’on considère généralement, et plutôt à tort, comme un ouvrage à grand spectacle. Dans ce cadre intimiste, les jeunes chanteurs n’ont pas besoin de forcer leur voix et l’expression des visages est parfaitement visible. Stefano Trespidi, qui reprenait la mise en scène créée par Franco Zeffirelli (décédé en juin dernier), s’est appliqué à personnaliser le jeu de chacun des interprètes, sans outrance, nous offrant un drame d’amour simple et crédible. Compte tenu de l’exiguïté du plateau, la scène du triomphe est légèrement détournée : nous voyons de dos les choeurs qui assistent au défilé, tout en la cachant au public. Le ballet qu suit est par ailleurs supprimé : avec 60 artistes sur scène, on atteint les limites du possible ! Les décors sont superbes, astucieusement variés, avec une scène du Nil où pour une fois l’on voit le fleuve, dans lequel d’ailleurs Aida trempe ses doigts. Ses différents visuels permettent à l’action de se dérouler et laissent une grande liberté aux chanteurs. Seul bémol, il faudra patienter trois entractes et le spectacle, commencé à 19h, se termine un peu avant 23h. Les costumes sont également d’une splendide variété. Enfin, ici, on n’a pas peur du blackface : avec une Aida turque cuivrée, une Amneris et un Radames russes légèrement bronzés, un Roi chinois asiatique qui semble doré à la feuille, et une demi-douzaine de figurants italiens à la peau bleu Avatar ou carrément noire, il y a de quoi donner des vapeurs aux tenants du politiquement correct.
© Roberto Ricci Teatro Regio di Parma
Burçin Savigne est une Aida atypique, très lyrique, au timbre limpide. Le grave est affecté d’un léger vibrato (la chanteuse n’est plus alors dans sa tessiture naturelle), mais les aigus sont aisés, la voix bien projetée. Très à l’aise avec les piani, le soprano offre de nombreux son filés ou enflés, du plus bel effet, mais pas le contre-ut piano du Nil. L’interprétation est sensible et attachante. L’Amneris de Maria Ermolaeva est plus idoine et on la croirait faite pour le rôle. La lecture du programme nous apprend que le mezzo soprano a travaillé avec Fiorenza Cossotto et Luciana d’Intino. Cela se ressent : il y avait longtemps que nous n’avions pas entendu une chanteuse user de façon aussi décomplexée des notes poitrinées, à l’ancienne, et le résultat est particulièrement éléctrisant. Après un « Celeste Aida » qui le cueille un peu à froid dans le grave (mais terminé par un beau si bémol piano en voix légèrement mixée), le ténor Denys Pivnitskyi ne fait que monter en puissance et en homogénéité des registres. L’aigu est électrisant, mais le chanteur sait aussi nuancer finement avec une belle musicalité. Son personnage, dépassé par les événements, est bien campé. Plutôt habitué aux rôles mozartiens, Krassen Karagiozov est très bien chantant, mais la voix n’est pas assez noire et manque de mordant pour incarner un Amonasro convaincant.Le Ramfis d’Andrea Pellegrini (l’Italien de l’étape ! ) est encore un peu vert. Les moyens ne sont pas considérables, mais la voix est bien conduite. Le Roi de Renzo Ran offre un grave profond à souhait. La direction de Michelangelo Mazza est particulièrement à l’aise dans les parties les plus intimistes. Si le triomphe manque un peu de clinquant, de nombreux passages sont tout à fait intéressants, comme les contrepoints qui ressortent de façon assez inédite dans l’introduction de l’acte du Nil.
On sort de ce spectacle sur un petit nuage, avec le sentiment d’avoir vécu un moment hors du temps : combien de représentations d’Aida ont-elles pu être données dans des conditions similaires, quand quantité de minuscules théâtres couvraient encore la planète ?