Tous les ans, les feuilles jaunissent en automne et l’herbe reverdit au printemps. Tous les ans, l’Opera Atelier Toronto vient présenter à Versailles l’une de ses productions, qui comblent d’aise les amateurs d’atours chatoyants et de gestuelle pseudo-baroque. Quelques décennies se sont écoulées depuis l’époque où l’on nous présentait le travail de Marshall Pynkoski comme une tentative de reconstitution de ce que pouvaient être les spectacles du Grand Siècle, et l’on sait désormais que l’on a affaire à une esthétique certes composite mais finalement personnelle, qui associe des ingrédients fort divers en un tout agréable à défaut d’être toujours très homogène. Du côté des attitudes, un contrapposto systématique, des bras déployés, mais aussi des empoignades plus modernes d’aspect. Du côté des décors, des cadres sortis d’une tapisserie de haute lisse mais entourant des paysages qu’auraient pu brosser un peintre figuratif des années 1940, ou des architectures imaginaires dignes d’une revue habillée par Erté (et cette fois, en toute fin de parcours, un cœur géant et rayonnant, très cartoon). Du côté des costumes, tenue corsaire pour les messieurs, amples jupons froufroutants et bustiers fifties pour les dames. Tout ça est un peu hétéroclite, mais c’est le style Pynkoski, où intervient parfois une pointe d’humour bon enfant. Et l’on ne saurait évidemment oublier l’indispensable présence du corps de ballet dirigé par Jeanette Lajeunesse Zingg, dont la chorégraphie picore également ici et là, d’inspiration globalement baroqueuse, mais qui inclut aussi des sauts et des bonds bien ancrés dans le XXe siècle. Cerise sur le gâteau, tout comme on a ajouté à l’ouverture d’Actéon un « Prélude H 514 » pour que la soirée paraisse moins courte, il a été jugé bon de faire précéder Pygmalion d’un préambule (Inception en anglais) durant lequel le violoniste Edwin Huizinga interprète une sorte de partita pour violon seul de sa composition, tandis que danse à ses côtés Tyler Gledhill déguisé en Cupidon. Qui sait ? Peut-être un jour le tandem Pynkoski-Zingg poussera-t-il l’audace jusqu’à associer une chorégraphie « contemporaine » à la musique des grands anciens.
Finale d’Actéon © DR
Justifié dans le programme comme représentatif d’attitudes opposées face à la transgression, tantôt châtiée, tantôt récompensée par les dieux, le rapprochement d’Actéon et de Pygmalion est pour l’Opera Atelier une première. Par-delà les divergences esthétiques et idéologiques, la réunion de ces deux opéras en un acte fonctionne en grande partie parce qu’elle repose sur le chanteur star de la troupe, Colin Ainsworth, ténor sonore, au physique juvénile et auquel la tessiture élevée du haute-contre à la française ne semble poser aucun problème. Une fois précisé que sa diction de notre langue est assez irréprochable, on comprend tout le prix de sa double incarnation des deux rôles-titres, et l’on en vient à regretter que Rameau ait laissé tant de place à la danse dans Pygmalion. A l’heure des saluts, une chanteuse paraît tout étonnée de l’accueil qui lui est réservé malgré la brièveté de ses interventions dans les deux œuvres : mais comment résister à l’opulence vocale d’Allyson McHardy, dont les nuances ambrées évoquent le souvenir de l’irremplaçable Lorraine Hunt ? On ne s’étonnera pas de redécouvrir qu’elle avait remporté Salle Favart un vif succès dans Amadis de Jean-Chrétien Bach en 2012, et l’on peste de ne pas entendre plus souvent en France cette magnifique artiste dont la carrière se déroule surtout outre-Atlantique. Diane d’abord, Amour ensuite, Mireille Asselin a déjà participé à plusieurs des productions de l’Opera Atelier Toronto : elle paraît cette fois un peu en-deçà de ses prestations antérieures, avec une justesse un peu aléatoire en fin de phrase. Méforme passagère, espérons-le. Désormais promue à des emplois de premier plan, Meghan Lindsay offre des couleurs vocales intéressantes, l’actrice a un certain tempérament, mais son articulation peut encore gagner en clarté. Comme nos amis canadiens se déplacent sans chœur, on salue le retour (dans la salle, pas sur scène) des excellents chanteurs du Chœur Marguerite Louise.
Dans la fosse, David Fallis ne réussit pas également les deux parties du spectacle. Sa manière de diriger l’habituel Tafelmusik Baroque Orchestra ne convainc guère dans Charpentier, et Actéon manque de nerfs, de dynamisme dans le phrasé. Il se rattrape avec Rameau, où la musique semble cette fois couler de manière plus naturelle, et où les danses adoptent des carrures plus franches.