Samedi soir, l’opéra de Massy donnait la première version d’Acis and Galatea (1718) de Georg Friedrich Haendel. Qualifié d’opéra en un acte par certains, de semi-opéra, d’opéra pastoral ou encore de masque par d’autres, cette œuvre est un petit bijou musical. Extrait du 13e livre des Métamorphoses d’Ovide, le livret raconte l’histoire d’amour entre le berger Acis et la nymphe semi-divine Galatea. Rien ne semble pouvoir mettre fin à leur idylle, mais c’était sans compter sur le jaloux et colérique géant Polyphème qui pense pouvoir s’approprier définitivement Galatea en se débarrassant de son rival. C’est peine perdue, car même mort, Acis reste aimé de la nymphe, au point qu’elle use de ses pouvoirs pour le rendre immortel en le transformant en rivière.
© François Pinson/MPC
Le spectacle a été créé en Bretagne à l’été 2016, puis donné en tournée aux Pays-Bas à l’hiver 2017. Comme dans toutes les mises en scène réussies, rien n’est laissé au hasard. Lumières, costumes, décor, jeu des acteurs, gestuelle : l’ensemble forme un tout cohérent. Travaillant main dans la main, les comparses de l’ensemble BarokOpera et du NOF (Nouvel Opéra Fribourg), Julien Chavaz (mise en scène), Séverine Besson (costumes) et Lea Hobson (scénographie) proposent une mise en scène moderne, minimaliste et épurée sans pour autant dénaturer l’œuvre. Subtil mélange d’humour, de naïveté et de drame, cette lecture d’Acis et Galatea est touchante. L’ambiance d’abord charmante invite les spectateurs à poser un regard bienveillant et chaleureux sur les amours quelque peu mièvres d’Acis et Galatea.
L’incarnation des personnages et de leur personnalité ne repose pas uniquement sur le jeu d’acteur. Les costumes, les coiffures et le maquillage de chaque personnage les caractérisent également : la tenue de berger d’Acis et ses cheveux longs blond-platine ; Galatea toute de bleu vêtue, aux cheveux exagérément tirés vers le haut et recouverts d’une fine couche de bleu pailleté ; Polyphème portant une chemise de pierre, une coiffe de pierre ; ou encore le chœur dont les combinaisons intégrales en laine les déguisent en moutons. Porteurs de sens, la gestuelle et les déplacements des personnages nous renseignent sur leur psychologie, mais aussi sur leur condition : la force brute du géant Polyphème alternant mouvements lents et tendus avec des gestes rapides et explosifs, la spontanéité du berger Acis et ses mouvements amples et ronds ou encore la nymphe semi-divine Galatea qui se déplace sur la pointe des pieds et dont les gestes vifs, quasi-robotiques, nous rappelle à chaque instant sa nature divine.
Si la longueur de certains airs baroques, par essence descriptifs et donc souvent statiques, constitue un défi pour les metteurs en scène, Julien Chavaz et ses acolytes réussissent à garder intact l’attention des spectateurs en ménageant quelques surprises scéniques comme dans celui d’Acis « Love sounds th’alarm » où les « moutons » sortent un par un à quatre pattes d’un des cubes. Mais le rire n’est pas la seule arme de distraction utilisée : les touches d’humour sont sublimées par une mise en lumière très poétique comme l’ombre de Galatea qui se reflète sur les deux murs blancs qui se dressent sur la scène côté jardin et côté cour.
Côté musical, la soirée est également une réussite. Accompagnés par un orchestre efficace (notamment les vents virtuoses) et une Frédérique Chauvet (direction musicale) très à l’écoute, les trois chanteurs principaux nous ont livré de magnifiques moments de musique. Leur timbre s’accordant à merveille, Alexander Sprague (Acis), Marie Lys (Galatea) et Christian Immler (Polyphème) ont enchanté nos oreilles tant dans leur trio (« Torture ! Fury ! Rage ! Despair ! ») que dans leur duo (« Happy we ! »).
Lauréat du prix London Handel Singing Competition, Alexander Sprague a interprété sa partie avec une fausse décontraction. Campant un Acis niais et insouciant, mais plein d’autodérision, son timbre clair et sa puissante voix lui ont permis de charmer l’auditoire. De son côté, le baryton-basse Christian Immler a révélé en l’espace de deux interventions toute la richesse de son timbre sombre. Quant à Marie Lys, sa prestation a été magnifique. À l’écoute de ses partenaires, elle nous livre une interprétation riche en contrastes et en variétés, aussi bien dans les attaques que dans les nuances. Le public ne s’y est pas trompé en lui réservant un accueil triomphal lors des saluts, et en brisant son silence pour l’applaudir après son air « When the dove ».
Les rôles de Damon et de Corydon ont été respectivement tenus par Jennifer Pellagaud et Germain Bardot. Comme leurs camarades, ils incarnent leur personnage de manière convaincante. La soprano campe un Damon à la fois facétieux et fervent défenseur de la cause des femmes (« Would you gain the tender creature »). Le ténor quant à lui interprète un Corydon lui aussi déguisé en mouton et délivrant un message mélancolique à Galatea.
Véritable pierre angulaire de cette mise en scène, le chœur des bergers et des nymphes (rebaptisé pour l’occasion « chœur des moutons ») est utilisé tantôt comme un outil de distraction (air d’Acis), tantôt comme une arme poétique (air de Corydon), quand il n’est pas le narrateur de l’histoire (en nous annonçant la venue de Polyphème et en nous mettant en garde sur sa jalousie maladive). Enfin, on peut saluer la qualité de la préparation des chanteurs du Jeune Chœur de l’Opéra de Massy : leur interprétation pleine de nuances et de contraste a fait honneur aux sublimes chœurs d’Haendel.
La fin de l’opéra est accueillie par un bref silence. Le public, encore sous le charme de cette œuvre intimiste, hésite dans un premier temps à applaudir, puis laisse éclater son enthousiasme en accueillant chaleureusement les saluts (rappelant même les artistes une fois le rideau baissé). La lumière rallumée, le sourire apparu à la levée du rideau à la vue des moutons qui se réveillent est encore sur toutes les lèvres. Cette belle réussite donne envie de découvrir les prochaines mises en scène de cette équipe.