Des femmes et des hommes utilisés comme éléments de décor dans Das Rheingold, puis comme figurants dans Die Walküre. Et dans Siegfried ? Les deux mon capitaine. Grappes humaines en mouvement qui forment les flammes du fourneau, dessinent des arbres, composent une tête de dragon spectaculaire ou encore s’agglutinent autour d’Erda comme des insectes mais aussi esprits ferronniers qui habitent la cabine de Mime et aident Siegfried à reforger l’épée. Le troisième volet du Ring semble cependant avoir moins inspiré Andreas Kriegenburg. On y trouve certes autant d’idées que dans les épisodes précédents, plus abouties d’ailleurs, mais la dimension légendaire de cette deuxième journée offre peu l’occasion au metteur en scène de déployer son formidable sens du théâtre. Seul l’algarade entre Alberich et Wotan puis le duo entre Siegfried et Brunnhilde retrouvent cette science du geste qui faisait depuis le début du cycle l’intérêt de l’approche. Le reste du temps, on a l’impression que Kriegenburg s’ennuie et qu’il craint que, comme lui, le public ne trouve le temps long. Aussi la mise en scène se fait encore plus illustrative que de coutume. On revit même en direct l’accouchement de Siegfried et, à la fin du premier acte, c’est tout juste si on ne sort pas de la salle avec son brevet de petit forgeron.
Dans la fosse, au contraire, Kent Nagano passe à la vitesse supérieure. De narrative jusqu’alors, sa direction devient épique et, épaulée par un Bayerisches Staatsorchester invincible, nous offre de nombreux moments d’exception : les murmures de la forêt tissés comme une gaze légère ou, plus inattendu de la part d’un chef que l’on qualifie souvent d’analytique, une scène finale, empreinte d’émotions, pudique et sensuelle à la fois.
Sur le plateau, on retrouve quelques voix déjà connues : l’Alberich démoniaque de Wolfgang Koch qui, s’il vociférait moins dès que la situation se tend, serait idéal de noirceur ; le Wotan de Thomas J. Mayer, roc ébranlé au troisième acte par une écriture placée haut sur l’échelle de Richter. L’oiseau d’Elena Tsallagova, avec son timbre. rafraîchissant et ses aigus tels des fléchettes, n’est pas une découverte : la soprano russe gazouillait déjà joliment à la Bastille en 2011 (voir recension). Idem pour Wolfgang Ablinger-Sperrhacke qui interprétait Mime à Paris l’an passé avec la même humeur glutineuse. On adhère moins à l’Erda expressionniste de Jill Grove dont les écarts de registre forment l’essentiel du vocabulaire. De Brünnhilde dans cette deuxième journée (la seule a priori à sa portée), Catherine Naglestad possède l’aigu extatique, à défaut d’un grave fermement établi. Au-delà des notes victorieuses, on apprécie un « ewig war ich » phrasé comme un lied avec une réelle volonté de nuancer et d’infléchir le son. L’antithèse en quelque sorte de Lance Ryan qui crie plus qu’il ne chante, à tel point que l’on en vient à douter de l’ascendance de Siegfried. Walsung ou Nibelung, cette interprétation barbouillée de nasalités, qui frappe fort et lorgne vers le sprechgesang ? Seule la vaillance fait pencher la balance du côté de Siegmund. Les dernières mesures de l’opéra trouvent en effet le ténor aussi frais que les premières, ce qui compte tenu de la partition relève de l’exploit et explique sans doute l’ovation finale que lui réserve le public. A moins tout naturellement que les cris ne répondent au cri.
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