L’histoire d’un succès
Pour ceux qui ne sont jamais allés à New York, une précision géographique : au centre de Manhattan, la 42ème rue croise Broadway sur Times Square. Quand on évoque les scènes de Broadway, on les trouve pour la plupart sur la 42nd Street !
42nd Street est d’abord un film musical de LLoyd Bacon, sorti en 1933, resté dans toutes les mémoires grâce aux chorégraphies éblouissantes de Busby Berkeley et à quelques chansons en particulier (compositeurs Leo Forbstein et Harry Warren) : 42nd Street, Lullaby on Broadway, We’re in the money, Shuffle off to Buffalo…
La comédie musicale éponyme présentée en 1980 au Foxwoods Theatre (actuel Lyric Theatre) reprend tous les ingrédients du film, obtient un Tony Award en 1981.
Le spectacle déjà présenté au Châtelet en 2016 est proposé jusqu’au 15 janvier 2023.
© Thomas Amouroux – Chatelet
L’argument
Acte I : En 1933 à Broadway les auditions sont presque terminées pour le nouveau spectacle Pretty Lady de Julian Marsch quand la chanteuse Peggy Sawyer arrive à New York, valise à la main, fraîchement débarquée du bus en provenance d’Allentown (Pennsylvanie). Malgré son retard elle est embauchée comme danseuse remplaçante. Peu après arrive Dorothy Brook, la vedette du spectacle, qui n’est plus montée sur scène depuis dix ans. Officiellement fiancée au producteur Abner Dillon, elle ne peut pas fréquenter son amant Pat Denning car Dillon pourrait rompre le contrat avec Julian Marsch. Pat doit donc quitter la troupe. Le soir du spectacle, Peggy heurte accidentellement la cheville de Dorothy et se fait renvoyer.
Acte II : Dorothy a la cheville cassée et ne peut plus remonter sur scène. Les danseurs de la troupe, pensant que Peggy est assez talentueuse pour la remplacer, convainquent Julian Marsch d’aller la chercher à la gare. D’abord fâchée contre le directeur, Peggy finit par accepter sa proposition. Elle travaille alors très dur pour assurer le premier rôle. Peu de temps avant le spectacle, Dorothy lui rend visite et reconnait son talent. La représentation est un triomphe pour la jeune danseuse, Julian Marsch savoure son succès en reprenant le thème final de Pretty Lady.
© Thomas Amouroux – Chatelet
Apothéose de la danse
On a compris à la lecture de l’argument que la trame du spectacle est bien mince et l’histoire bien convenue. On est même surpris qu’à part « l’accident » qui immobilise la star annoncée, Dorothy Brook, les librettistes n’aient creusé aucune situation, des histoires d’amour à peine effleurées, des personnages dessinés à grands traits, à la limite de la caricature – la star finissante, son « mécène » jaloux, un ténor ridicule et qui le sait, la débutante un peu godiche, et toute une troupe sympathique sans rivalités apparentes.
© Thomas Amouroux – Chatelet
Mais à vrai dire on s’en fiche un peu, parce que ça fait longtemps qu’on n’a pas vu sur une scène parisienne, a fortiori depuis la longue parenthèse Covid, une telle débauche de moyens, un vrai grand spectacle de près de trois heures, dont on sort heureux, galvanisé, encore plein de rythmes et de mélodies qui réchauffent l’hiver qui commence.
C’est d’abord un fabuleux spectacle de danse. Depuis les mythiques Rockettes au Radio City Hall de New York, on ne se rappelle pas avoir vu pareils ensembles. C’est par les pieds qu’on découvre 42nd Street, d’abord par le battement des claquettes qu’on entend, puis par la vue d’une trentaine de paires de jambes à mesure que le rideau se lève. Cette scène inaugurale, devenue culte dès sa création en 1980, est reprise à l’identique par le metteur en scène et chorégraphe Stephen Mear, qui avait lui-même dansé ce spectacle à Londres dans ses jeunes années.
Près d’une cinquantaine d’artistes, des triple threats comme on appelle ces interprètes à la fois danseurs, chanteurs, comédiens, dont on nous précise qu’à chaque représentation ils utilisent pas moins de 200 paires de chaussures, surtout ces fameuses tap shoes, et 300 costumes.
© Thomas Amouroux – Chatelet
Broadway enchanté
Les principaux rôles chantés sont tenus là aussi par des voix de caractère. Même si des Roberto Alagna ou Natalie Dessay se sont essayés, avec succès, au genre de la comédie musicale, on sait que les grands chanteurs d’opéra ne sont pas les mieux placés pour s’y adonner, depuis un célèbre enregistrement de West Side Story de et sous la direction de Bernstein et surtout le making of où l’on voit le chef/compositeur s’escrimer – en vain – à faire comprendre à José Carreras ou Kiri Te Kanawa comment on incarne vocalement Tony ou Maria !
Le caractère justement – c’est bien la seule réserve qu’on peut émettre sur le cast de cette 42ème rue – c’est ce qui manque un peu au personnage de Peggy Sawyer qu’incarne Emily Langham. Quelque chose, dans le physique, dans la voix, manquent à cette jeune Anglaise qui n’en est pas à son premier rôle sur les scènes du West End, une personnalité qui s’imprime dans le souvenir.
© Thomas Amouroux – Chatelet
Ses comparses sont mieux dessinés : Rachel Stanley assume les coquetteries et les excès de Dorothy Brook, la star déclinante à la cheville trop fragile. Le finalement petit rôle du ténor est ridicule à souhait sous les atours de Jack North, le directeur/producteur Julian Marsh tel que le joue Alex Hanson évite précisément la caricature qu’on réserve trop souvent à ce type de rôle, il en est même émouvant. Mention spéciale pour les trois bonnes copines de la petite Peggy, qui l’entourent et la rassurent dès son arrivée dans la troupe : Lauren Hall, Charlie Allen et Gabby Antrobus. Elles sont d’une inépuisable gaieté et d’un optimisme à toute épreuve.
© Thomas Amouroux – Chatelet
Quant à l’orchestre rassemblé dans la fosse du Châtelet – était-il d’ailleurs bien nécessaire de le sonoriser à l’excès ? – Gareth Valentine peut compter sur une vingtaine de musiciens français de tout premier plan, qui semblent être nés avec le swing dans la peau.
LE spectacle à voir absolument pour ces fêtes de fin d’année !