Trente ans, ça se fête ! Durant toutes ces années, le grand coup de projecteur médiatique des Victoires de la musique classique aura boosté bien des carrières, et le spectacle-émission ne se fera pas avare de rappels sur des figures familières aux mélomanes, plus particulièrement aux amateurs d’art lyrique, comme par la diffusion d’une rétrospective (**). En effet, deux des sept catégories représentées couronnent des chanteurs : « Artiste lyrique » et « Révélation, artiste lyrique », sans omettre les enregistrements (la Passion selon Saint Matthieu, dirigée par Raphaël Pichon, justement récompensée) et les compositeurs. Nos lecteurs connaissent bien cette manifestation, ainsi que les les six solistes retenus, depuis leur apparition sur nos scènes. Pour mémoire, notre compte rendu du dernier enregistrement de Marina Viotti (Pauline Viardot, Marina Viotti, fascinantes divas) , et l’interview d’ Alexandra Marcelllier par Brigitte Maroillat (Alexandra Marcellier : « Je veux continuer à faire de belles rencontres », après sa révélation à Saint-Etienne).
Marina Viotti © Jeff Pachous – AFP
Mais c’est avant tout au public le plus large que s’adresse le spectacle, retransmis en direct sur FR3 et France Musique. Les occasions de diffuser cette musique à des heures de grande écoute sont suffisamment rares pour faire la fine bouche. Avouons-le : c’est la première fois que nous étions plongé dans la réalisation d’un spectacle de cette nature.
Même si le théâtre lyrique use depuis ses origines de moyens visuels extraordinaires, il est rare de voir appliquer à la musique savante ceux dont est coutumier le show-bizz. Pas moins de 25 semi-remorques pour livrer le matériel indispensable à l’aménagement de la salle… Visuellement, c’est une débauche d’effets lumineux, dont l’incessant mouvement dérange, quelle que soit la beauté de tel ou tel tableau, le plus souvent en adéquation avec le caractère de l’œuvre. L’amplification est la règle, et trouble l’habitué des salles de concert : les solistes sont toujours au premier plan, survalorisés. La balance est déséquilibrée avec l’orchestre, en fond de scène, où le chœur se trouve le plus souvent relégué. Le rythme est imposé par la retransmission en temps réel, où séquences directes alternent avec des enregistrements comme des interviews. La machine est rodée et son fonctionnement huilé, très professionnel, n’appelle que des éloges.
Marc Voinchet, Président des Victoires, et directeur de France Musique, nous avait promis des surprises. Nombreuses furent au rendez-vous, certaines délibérées, d’autres fortuites (***).
Qu’il séduise ou irrite, l’œil rivé à son prompteur, Stéphane Bern excelle dans ce rôle de Monsieur Loyal d’un spectacle qui se propose de retenir le public le plus large et le plus nombreux, centré sur la valorisation de nos jeunes artistes. Pour ce faire, le mot d’ordre semble être une approche « décomplexée », très « people », « casser le cloisonnement des genres », et « démentir les préjugés ». Ainsi vise-t-on à donner une image humaine, d’êtres tout-à-fait normaux, à nos artistes que le grand public méconnait le plus souvent. Au bar, complice de l’animateur, Clément Rochefort, capte les réactions et leurs témoignages. Les morceaux ont été choisis en raison de leur popularité ou de leur séduction, et de leur relative brièveté. Ainsi plusieurs œuvres dont l’écriture est à la frontière des genres sont-elles programmées, servies par des musiciens aux répertoires également partagés. Pourquoi pas ? Si c’est là le moyen d’attiser la curiosité d’une large part spectateurs et auditeurs ? A signaler, et à mettre au crédit des programmateurs, la soprano Faustine de Monès, dont la carrière fait une large place à la musique contemporaine, qui nous offre, avec le quatuor Ardeo, les quatre minutes de Die Aussicht, de Kaija Saariaho. Pour éviter toute lassitude du téléspectateur, le rythme est soutenu, ponctué d’applaudissements programmés, ce sont là les lois du genre.
Alexandra Marcellier © Jeff Pachous – AFP
Deux types de chorégraphie : la plus visible, séduisante en diable, sur la musique des Sauvages des Indes galantes (nous sommes à Dijon), celle de Mehdi Kerkouche, qui introduit brillamment le spectacle avec la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique, l’autre, discrète, de tous les techniciens, de noir vêtus, qui s’affairent sur le plateau avec vivacité et ordre pour en modifier les configurations, et capter l’image et le son que diffuse la télévision. A signaler la séquence de « Il neige ! nous grelottons » du Voyage dans la lune d’Offenbach, régal visuel et sonore dû à Laurent Pellly. On n’énumérera pas le déroulé ni les artistes de cette passionnante soirée, tant elle fut copieuse et riche en surprises. Qu’il s’agisse de Thomas Dunford et de ses amis de Jupiter, accompagnant Lea Desandre, de Jean-Christophe Spinosi et de son ensemble Matheus, pour une prestation remarquable de Jakub Józef Orliński chantant Vivaldi, de Bertrand Chamayou, d’Alexandre Kantorow, familier des Victoires, le bonheur était au rendez-vous. Evidemment, la consécration dans leurs catégories respectives de Marina Viotti (Samson et Dalila) et d’Alexandra Marcellier (Idomeneo), toutes deux magistrales, aura couronné les moments les plus forts de cette soirée où la voix fut tant à l’honneur.
A la tête de l’Orchestre Dijon-Bourgogne et des chœurs de l’Opéra, Debora Waldmann (****) aura confirmé ses talents dans ce contexte si particulier.
Le contrat a été rempli, le public ravi, les artistes également, dont la visibilité a été renforcée. La musique est sortie gagnante. Que demander de plus ?
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Le palmarès 2023
Victoire Soliste instrumental : Bertrand Chamayou, piano
Victoire Artiste lyrique : Marina Viotti, mezzo-soprano
Victoire Compositeurs : Fabien Waksman – L’île du temps, concerto pour accordéon et orchestre symphonique
Victoire Enregistrement : Matthäus-Passion, Johann-Sebastien Bach – Pygmalion, Raphaël Pichon, S. Devieilhe, L. Richardot S. Degout
Victoire Révélation soliste instrumental : Aurélien Pascal, violoncelle
Victoire Révélation artiste lyrique : Alexandra Marcellier, soprano
Victoire Révélation Chef d’orchestre : ex-aequo Victor Jacob et Lucie Leguay
(*) « Ce n’est pas un truc de Parisien » déclare Marc Voinchet, rappelant que Toulouse et Aix ont déjà accueilli la cérémonie.
(**) Projeté à minuit, après la remise des prix, un beau documentaire rétro, « Ils ont fait les Victoires de la Musique », permet de retrouver Natalie Dessay, Roberto Alagna, Karine Deshayes, Patricia Petibon, Sabine Devieilhe, et beaucoup d’autres.
(***) A signaler la surprenante intervention – hors de propos bien qu’introduite par Stéphane Bern – d’une syndicaliste de la CGT, qui, après avoir rappelé les difficultés que la pandémie a causées, plaide pour l’amélioration des conditions de rémunération des musiciens, et fustige la réforme des retraites. Auparavant, profitant de la médiatisation de l’événement, un individu avait fait irruption, s’était saisi du micro sans avoir le temps de poursuivre, le service d’ordre ayant réduit cet incident à l’état de parenthèse.
(****) Elle portait pour la circonstance un tailleur conçu par Natalia Smalto, et confectionné par l’Opéra Grand-Avignon.