La mezzo française Sophie Koch nous reçoit à quelques jours de sa prise de rôle d’Isolde à Toulouse, dans la reprise de la production de Nicolas Joël.
Encore une prise de rôle à Toulouse.
Oui, j’ai la chance que Christophe Ghristi [directeur artistique du Théâtre National du Capitole] me donne ma chance ; il y avait déjà eu Kundry en 2019 et Ariane [Ariane et Barbe bleue], il m’a donné également Wozzeck l’année dernière et puis voilà Isolde.
Pour autant ce n’est pas votre premier rôle wagnérien.
J’ai une passion pour Wagner ; j’avais déjà fait Brangäne, Fricka, Waltraute, Venus, Rienzi, Sieglinde. Et si Isolde se passe bien, j’envisagerai peut-être une Ortrud.
Et Brünnhilde, au moins celle de Siegfried ?
Pourquoi pas ? Si je vois que physiquement j’ai la capacité de le faire, mais ce ne sera pas dans des salles gigantesques. On verra. Déjà, je n’aurais jamais imaginé être ici ; il y a trente ans n’oublions pas que je chantais le Stéphano de Roméo et Juliette. Et puis ma voix a évolué vers le colorature, un peu léger, ensuite lyrique, je suis restée lyrique très longtemps (je fais Octavian depuis plus de vingt ans !) et cela m’a beaucoup « fait les muscles » ; et puis j’ai commencé Wagner en 2009, ce n’est pas non plus hier.
Octavian c’est très long mais c’est moins violent qu’Isolde.
C’est presque aussi long ; moins violent ? Pas si sûr ! Il n’y a que le chanteur qui a affronté l’orchestre straussien qui peut attester de la lourdeur de cet orchestre. Parce que le sujet du Chevalier est léger, on se dit, c’est une comédie, c’est du Mozart. Mais l’orchestre est énorme et on l’oublie. Il faut l’endurance et la largeur de voix.
Avant le Chevalier, il y a Salome et Elektra.
J’ai failli faire Klytämnestra en juin à Bastille. Waltraud Meier s’était retirée ; on m’a demandé d’apprendre le rôle mais avec le Covid (j’étais à la Scala et les allers et retours avec Paris étaient compliqués) ça ne s’est pas fait, mais je savais le rôle. J’espère que ce n’est que partie remise ; j’entre dans l’âge où je peux prendre ce genre de rôle – Herodiade aussi.
Isolde donc. Comment prend-on la décision ?
Il faut que les autres croient en vous. Christophe Ghristi donc, mais aussi mon compagnon de scène Nikolai Schukoff qui était mon Parsifal puis mon Wozzeck, le chef Frank Beermann, mon mari aussi qui me connaît bien, qui m’a toujours poussée parce que je suis quelqu’un d’assez prudent.
J’ai eu un agent américain qui voulait me pousser plus tôt pour Kundry, et moi j’ai toujours un peu freiné. Mais c’est peut-être cette prudence qui fait que je suis encore là aujourd’hui !
J’ai pris la décision de m’attaquer à Isolde juste après Kundry. Le fait d’être avec Nikolai Schukoff pour cette production est très important ; j’ai tout de suite été en confiance ; si j’avais été avec Jonas Kaufmann, j’aurais été moins en confiance. Ici on se porte l’un l’autre.
J’ai mis longtemps, plus d’une année, à apprendre le rôle. C’est un long poème, plein d’allitérations, d’assonances, c’est facile de se mélanger les pinceaux… Ce n’est pas la langue de Tannhäuser, ce n’est pas celle du Ring, c’est la langue de Tristan, très médiéval, Wagner dissèque tellement le sentiment amoureux, je trouve cela très beau.
Aborder Isolde, c’est être devant l’Everest. Au début on prend peur. Il y a surtout le premier acte, terrible. Au II, on se repose un peu dans le duo !
Et surtout juste après le prélude du I, ça démarre tout de suite très fort.
Tout de suite. Alors là je me dis, il ne faut pas se jeter immédiatement dans la gueule du loup ; il faut rester très zen pour cette petite ariette qui démarre le rôle. J’avais vu Nina Stemme qui l’avait faite à 150% et j’en ai pris note, je me suis dit : « ne fais pas ça ! » Il ne faut pas s’y mettre à 150 % ; ce n’est qu’un tour de chauffe. Je me méfie de moi, je suis du genre à me jeter dans le rôle mais là il faut que je garde cette distance.
Il y a la peur d’être surpassée par l’orchestre ?
Comme disait ma grande amie Soile Isokoski : « L’orchestre joue fort ? Moi je chante avec ma voix, je ne vais pas chanter plus fort ! » Il faut faire confiance à sa technique, ne pas entrer en compétition avec l’orchestre. Frank Beermann est un grand chef lyrique, c’est son répertoire, je n’ai aucune crainte, je travaille avec lui les yeux fermés.
Pour la mezzo-soprano aigue que vous êtes, il y a dans la partie d’Isolde deux ou trois passages délicats.
Il y a deux contre-ut et deux si bécarre effectivement. Mais j’avais cela aussi dans Wozzeck.
Nous parlons beaucoup de l’opéra allemand. Et l’opéra italien ?
La vie est trop courte pour faire des choses que l’on n’a pas envie de faire ! Cela ne m’intéresse pas. Je vis à 200% quand je fais ce que je fais, cela me nourrit tellement. Et puis je pense qu’il n’y a pas de chanteur universel ! Je n’ai pas la voix qui convient à Verdi. J’aurais pu faire quoi ? Amnéris ? Eboli ? Il y en a d’autres qui sont meilleures que moi ! Et Puccini, qu’est-ce que vous voulez que je fasse dans Puccini ? Suzuki ? Il y a longtemps, j’aurais peut-être pu faire une Tosca.
Vous avez des modèles ?
Au tout début de ma carrière, il y avait Christa Ludwig. Je pense qu’elle aurait pu faire Isolde, mais il me semble qu’elle a fait certains rôles trop tôt. Comme sa voix était phénoménale, on lui a donné des rôles lourds trop tôt (Fidélio, Eboli). J’aime beaucoup aussi Tatiana Troyanos, Sena Jurinac.
Et Carmen, quand vous avez finalement renoncé à Carmen au Met, vous étiez vraiment malade !?
Oui, croyez-moi ! J’étais là jusqu’à la générale. Mais le destin n’a peut-être pas fait trop mal les choses. Des Carmen il y en a à la pelle. Cela aurait été amusant, mais ce n’est pas un regret. Je n’y reviendrai pas.