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Reinoud Van Mechelen : « Je ne veux pas m’extraire du baroque pour me sentir un « vrai » chanteur »

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Interview
29 septembre 2014

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A l’affiche de Castor et Pollux au TCE dès le 13 octobre, Reinoud Van Mechelen est le ténor haute-contre du moment, celui que les chefs s’arrachent et s’il ne fait pas la une des magazines spécialisés, c’est pour la meilleure raison du monde : cet artiste hyper doué, mais d’une humilité désarmante, est trop occupé à travailler.  


Au lendemain du Concours Reine Elisabeth, je ne peux que vous poser la question : êtes-vous parent avec Werner Van Mechelen, lauréat de la première édition en 1988 ?

Non, mais c’est effectivement une question qui m’est souvent posée. J’avais fait un concert avec lui et Il Fondamento lorsque j’étais soprano dans les ripieni de la Saint-Matthieu et je ne l’ai pas revu depuis. Je doute qu’il s’en souvienne d’ailleurs… Par contre, mon oncle, Simen Van Mechelen, joue de la sacqueboute, entre autres avec René Jacobs. Plus jeune il chantait dans le Collegium Vocale de Gand. Il a exercé une grande influence sur moi et a nourri mon désir d’être musicien. 

Depuis l’Orfeo, en janvier, à Nancy, vous avez enchaîné les concerts à un rythme soutenu et nous avons d’ailleurs eu du mal à trouver une date pour cet entretien. Là, par exemple, vous rentrez de Slovénie où vous vous produisiez avec Les Ambassadeurs après avoir chanté à Caen et dans la Manche en compagnie des Arts Florissants. Votre carrière semble exploser en 2014 ?

Oui et je suis ravi de ce qui m’arrive. Mais j’ai également senti qu’il me fallait être prudent. Chanter dans la Passion selon Saint Luc et, dès le lendemain, à Liverpool, dans la Saint Jean, où j’interprétais mon premier Evangéliste, puis le surlendemain donner un concert à Cologne avec un programme tout autre répété trois semaines plus tôt, c’est assez fatigant, d’autant qu’il faut parfois connaître la musique par cœur. Il faut apprendre à gérer un planning et cette année, j’ai pu réaliser mes limites.

A cet égard, les maisons d’opéra établissent leurs saisons plusieurs années à l’avance, jusqu’à quand vos engagements sont-ils planifiés ?

2016, voire 2017. Les Fêtes vénitiennes de Campra avec les Arts Florissants seront reprises en 2016. Par contre certains projets ne sont pas encore définis. Les propositions en matière d’opéra arrivent beaucoup plus tôt que les propositions de concerts, mais je ne privilégie pas forcément les productions scéniques ; si on me propose un rôle en 2018 qui me semble moyennement intéressant d’un point de vue artistique, j’aurais tendance à le refuser en sachant qu’il y aura très probablement des propositions de concerts à l’avenir, et qui me satisferont beaucoup plus en tant qu’artiste.

Parce que vous devez bloquer une longue période dans votre agenda pour une production scénique…

Oui, plusieurs semaines. Je dois aussi choisir le répertoire le plus adapté à ma voix, celui qui va me permettre d’évoluer vocalement.

Avez-vous d’autres critères pour accepter ou non un proposition ?

Je privilégie les projets proposés par les Arts Florissants que je considère comme ma famille musicale.

Vous chantez de plus en plus Rameau, anniversaire oblige, et le répertoire français puisque vous êtes très à l’aise dans les parties de haute-contre, mais comptez-vous encore participer à des projets plus originaux, plus pointus comme l’Euridice de Caccini ou La Catena d’Adone de Mazzochi montées avec Scherzi Musicali ?  

Il me semble en effet qu’il est important d’accorder mon attention à des projets plus originaux, mais en fin de compte, Les fêtes vénitiennes de Campra ne sont-elle pas à tout le moins singulières ? Un des mes objectifs est de rendre la musique que j’interprète accessible au plus grand nombre. Or, quand on aborde des œuvres comme l’Euridice ou La Catena d’Adone, c’est déjà une entreprise en soi que de les faire connaître dans le monde de la musique classique et même dans celui du baroque. Les grands airs d’opéra de Rameau sont un peu plus connus, mais « Séjour de l’éternelle paix », par exemple, n’est pas non plus un tube ; il pourrait le devenir s’il était plus souvent chanté. L’originalité ne tient pas qu’au répertoire, elle réside aussi dans l’interprétation que l’on en donne. Lorsque nous jouons Purcell, avec Scherzi Musicali, nous essayons de renouveler l’écoute que le public peut avoir d’une musique qui lui est familière.

C’est également la démarche retenue pour l’album Dowland enregistré avec Thomas Dunford sur lequel vous interprétez à plusieurs des pages généralement confiées à une seule voix avec luth. Qu’est-ce que cela représente, quand on a seulement 27 ans, d’être invité à Versailles pour prendre part à la recréation mondiale des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour ?

Je m’étais déjà produit sur quelques scènes importantes et j’avais notamment chanté Le Fils Prodigue (Charpentier) à Versailles avec les Arts Florissants. Le stress lié à l’importance du lieu n’était donc pas nouveau. Retrouver Hervé Niquet, avec qui j’avais fait l’Académie d’Ambronay il y a sept ans (Le Carnaval et la Folie de Destouches), était très émouvant. Il exige beaucoup de ses musiciens, mais j’aime ça, il nous fait avancer. C’était un bonheur de travailler à nouveau avec lui. L’enregistrement du concert ajoute toujours un challenge, car on sait qu’il restera une trace de l’événement.

Vous l’avez évoqué tout à l’heure, vous avez d’abord chanté enfant comme soprano, à Louvain. Au moment de la mue, aviez-vous déjà le désir de poursuivre le chant et la musique ?

Tout s’est fait très naturellement, en douceur. Quand il m’est devenu difficile d’évoluer en soprano, je suis passé dans le pupitre des alti. Puis un jour, au retour de deux semaines de vacances, je suis passé chez les ténors. Je ne me souviens pas avoir connu une période difficile à cause de la mue. Après un an d’université et grâce à Nicolas Achten je suis entré au conservatoire : ma vocation était définie.

Après avoir étudié au Conservatoire de Bruxelles avec Lena Lootens et poursuivi votre formation avec Dina Grosberger, vous vous êtes également perfectionné auprès de Jean-Paul Fouchécourt, Howard Crook et François-Nicolas Geslot. Quels conseils ces trois spécialistes du répertoire de haute-contre vous ont-ils donnés ?

J’ai rencontré François-Nicolas Geslot à Ambronay. A l’époque, je cherchais encore ma voix et je lui dois beaucoup. Avec Jean-Paul Fouchécourt j’ai travaillé l’air de Platée ainsi que la berceuse d’Arnalta, qu’il a si souvent interprétés. C’était avant mon audition pour le Jardin des Voix, et il connaissait évidemment fort bien les Arts Florissants. Il m’a aussi donné des conseils sur la langue française, qui n’est pas ma langue maternelle. Avec Howard Crook, j’ai travaillé un peu de Bach, il m’a beaucoup aidé techniquement pour les vocalises, qui ne m’étaient pas naturelles. Nous avons également travaillé le rôle d’Atys. Ce fut un moment exceptionnel. Howard Crook n’est pas seulement un grand chanteur : c’est aussi un grand acteur qui a changé mon regard sur le rôle. Je répétais la première scène d’Atys : «  Allons, allons, accourez tous, Cybèle va descendre » et il m’a dit : « quand Atys fait son apparition à ce moment précis, il sait déjà qu’il va se suicider le jour même ». C’est avec ce genre d’indications que les choses deviennent vraiment intéressantes.

Il vous a permis de trouver le ton adéquat, la juste coloration …

Oui, il faut chanter ces paroles avec la conscience de ce que tout le drame qui suit implique ! Je me souviendrai toujours de ces conseils.

Vous parliez de la prononciation du français : elle demeure un écueil redoutable pour de nombreux chanteurs, souvent même pour des francophones. Comment réagissez-vous quand un journaliste pointe vos difficultés ?

Depuis quelques années, je chante principalement en langue française – il y a malheureusement peu de répertoire pour ma voix en néerlandais. Le français est la langue avec laquelle je me sens le plus à l’aise ; je la parle beaucoup depuis l’âge de vingt ans. Je continue de me perfectionner évidemment, mais je sais que je ne la parle pas encore comme si c’était ma langue maternelle. Quant aux critiques sur la diction en français des chanteurs, c’est une langue assez difficile à chanter pour tous, que l’on soit effectivement francophone ou pas. L’ouverture d’une voyelle, par exemple, est davantage liée au placement de la voix. Et les « écoles » en matière de diction sont parfois différentes. Il m’arrive qu’à l’issue d’un concert, un critique me félicite sur la précision de mon français alors que celui d’à côté me reproche d’avoir entendu trop d’accent… La vérité doit être quelque part au milieu. Je m’efforce en tout cas de travailler ma diction, y compris en allemand et en anglais, qui sont aussi des langues très difficiles à chanter.

A propos du répertoire en langue anglaise, depuis quelques années, de plus en plus de chefs renoncent à distribuer des falsettistes dans les parties de countertenor, car nous sommes désormais à peu près sûrs qu’elles étaient la plupart du temps destinées à des ténors aigus qui peuvent donc aujourd’hui se les réapproprier. Vous avez enregistré Purcell avec Scherzi Musicali et participé à l’album Dowland de Thomas Dunford, mais c’est la musique française qui continue de dominer votre agenda. Est-ce une question d’opportunité ou de goût personnel ?

C’est une question d’opportunité. J’ai fait quand même pas mal de Purcell – King Arthur, des extraits de Fairy Queen, The Indian Queen, où je chantais des parties de ténor et de ténor aigu… Il y a très peu de ténors hautes-contre et on a besoin d’eux, c’est dans ce répertoire que mon nom circule un peu, donc on pense à moi quand les organisateurs en ont besoin. Quant à Purcell, on le donne moins souvent en France, même si cela commence à changer. En outre, il y a beaucoup d’excellents ténors anglais. J’ai envie de faire du Purcell, même si mon anglais n’est pas parfait et qu’en Angleterre mon accent serait aussitôt remarqué. C’est la même chose pour Britten : il a écrit pour un type de voix assez proche de la mienne, mais c’est peut-être un peu tôt pour que je l’aborde, puis, comme je l’ai dit, il y a pas mal de fort bons ténors britanniques pour qui c’est une évidence de chanter ce répertoire. Ceci dit, je ne le vis pas non plus comme une frustration.   

En mars dernier, vous preniez part, aux côtés du B’Rock Ensemble, à la création d’une pièce de théâtre musical mêlant des fragments du King Arthur de Purcell à des monologues du dramaturge flamand Peter Verhelst inspirés par la Première Guerre Mondiale, une transposition audacieuse qui a été froidement accueillie par une partie de la critique belge. Que retenez-vous de cette expérience ?

J’ai beaucoup aimé le travail de Paul Koek [metteur en scène]. Lorsque j’ai reçu la partition, j’ai compris que je ne serai qu’un élément modeste au sein d’une pièce nouvelle. Quand je suis arrivé aux répétitions, j’ai réalisé que je ne participais pas au processus de création proprement dit. Je n’étais qu’un interprète qui venait chanter quelques airs dans un projet imaginé par d’autres : en tant qu’artiste, on a parfois envie de jouer un rôle plus important dans une création mais ce n’étais pas le cas.

Il y a des choses qui marchaient et d’autres moins bien, mais, globalement, le travail de Paul Koek était fort intelligent. De plus, je trouve important d’interpeller nos contemporains. Bien sûr, ce spectacle évoque la Première guerre mondiale, mais au-delà, de manière plus universelle, on parle de ce que l’humanité peut s’infliger à elle-même. Mon influence en tant qu’artiste est minime, mais je voudrais essayer de faire réfléchir le public actuel, en particulier dans une société de plus en plus dure où le repli sur soi s’accentue et où le système a intérêt à ce que les gens ne réfléchissent pas trop. Je pense que les artistes peuvent aussi contribuer à les réveiller. Dans l’opéra, nous nous retrouvons souvent face à des formes très fixes, bien déterminées, qui ont participé de cet ordre établi. Il faut donc saisir la chance qu’offrent des créations tel ce King Arthur ou le travail de certains metteurs en scène, notamment sous l’impulsion d’hommes comme Gérard Mortier, pour inciter le public à se poser des questions tout à fait contemporaines.

Ceci dit, le mélomane ne pouvait qu’être frustré, car l’œuvre de Purcell a subi des coupes fort importantes…

Je comprends, quand j’ai reçu la partition, je me suis dit aussi que je ne chantais plus grand chose. Mais en fin de compte, j’ai eu la possibilité de servir une autre forme de création. En outre, la démarche rejoignait mes interrogations sur l’utilité de l’art et de mon métier dans la société.

La musique ancienne semble vous absorber complètement, mais suffit-elle à votre bonheur, même si vous estimez devoir encore attendre pour aborder Britten, par exemple ?

J’aime profondément la musique baroque et je ne veux pas m’en extraire à tout prix pour me sentir un « vrai » chanteur, mais j’ai quand même quelques envies. En avril 2013, j’ai donné un programme de mélodies avec Inge Spinette et j’ai adoré cette expérience. Plus récemment, avec un orchestre de Louvain, Frascati, j’ai donné un concert qui mêlait des airs d’opérette…

Et du lied !

Oui, j’ai pu interpréter « Morgen », mais aussi l’air de Tamino. J’aimerais bien chanter le répertoire classique, mais probablement pas à court terme, car je veux prendre le temps. J’ai des envies, mais je ne veux rien forcer. Dans l’opéra romantique, je pourrais aborder certains rôles légers, dans le 20e, certaines figures m’attirent beaucoup aussi, mais c’est également prématuré.

 Imaginez que vous ayez carte blanche pour sortir du baroque : tout est possible, vous pouvez choisir le metteur en scène, vos partenaires, le chef, le moment – même dans cinq ans s’il faut que votre voix ait évolué. Que choisiriez-vous ?

Je rêve de chanter un jour Tom Rakewell dans The Rake’s Progress. Cela me fait peur, le rôle est énorme – j’y ai entendu un excellent Mark Padmore à la Monnaie et je me suis dit que le rôle ne devait pas être évident à apprendre. Mais la musique est géniale, la pièce, le texte aussi. J’aimerais également me tourner vers Schubert, Schumann, ainsi que des lieder moins connus et la mélodie française. Je songe à monter certains programmes, mais c’est trop tôt.

Rendez-vous à la Monnaie dans dix ans alors ?

[Rires] Nous verrons, je ne sais pas où nous serons dans dix ans.

Vous n’avez aucune idée d’où vous serez dans dix ans ?

Non, parce que je ne veux pas forcer ma voix, mais en découvrir d’autres facettes. Pour le répertoire de haute-contre, je l’utilise d’une certaine façon et je sens, lorsque je suis certains coachings ou même lorsque je chante du Grétry, qui est un peu plus tardif, que j’utilise d’autres couleurs, d’autres ressources que j’entraîne moins et que je voudrais explorer, mais sans forcer mes moyens.

Dans cette optique, ralentir la cadence ne peut qu’être une bonne chose...

Oui, pour la voix, comme pour le cerveau. Je n’ai pas eu beaucoup de vacances, mais je sais aussi que c’est un luxe d’avoir un agenda bien rempli. La mélodie m’intéresse, c’est sûr, mais je n’ai pas du tout envie de quitter la musique baroque, car je la trouve réellement géniale, et il y a encore des partitions, de Rameau notamment, qui sont rarement données. Au Bozar, en coproduction avec la Monnaie, on a donné Les fêtes de l’Hymen, mais cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu à Bruxelles un opéra de Rameau en version scénique. Je sais que cela coûte très cher…

Mais  les coproductions, précisément, sont de plus en plus fréquentes pour d’autres compositeurs, alors pourquoi pas pour Rameau ? La pauvreté de la plupart des livrets expliquerait-elle les réticences des maisons d’opéra ?

J’en parlais avec Hervé Niquet justement. Ce n’était probablement pas un hasard si Rameau travaillait avec ces librettistes. Il était extrêmement intelligent et savait ce qu’il faisait. Pour lui, la musique était la science ultime et elle devait passer avant tout le reste.

Entretien réalisé le 27 juin 2014

Prochains concerts :

Rameau, Castor et Pollux, Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet : Paris, TCE (13, 15, 17, 19 et 21 octobre)

Rameau, Le maître à danser (Daphnis et Aeglé, La Naissance d’Osiris), Les Arts Florissants, dir. William Christie : Luxembourg, Philharmonie, 4 novembre ; Moscou, Bolchoï, les 6 et 7 novembre ; Dijon, Opéra, 14 novembre ; Londres, Barbican Center, 18 novembre ; Paris, Cité de la Musique, 21 et 22 novembre

The Musicall humors of Rubens (Campion, Daniel, Dowland, Jones, etc.), avec Thomas Dunford (luth), Sylvia Abramowicz et Jonathan Dunford (violes) : Bruxelles, Conservatoire, 28 novembre

Campra, Les fêtes vénitiennes, Les Arts florissants, dir. William Christie, mise en scène de Robert Carsen : Paris, Philharmonie (ouverture), 16 janvier 2015; Opéra-Comique, 26, 27, 29 et 30 janvier, 1er et 2 février ; Anvers, Amuz, 21 février ; Caen, Théâtre, 1er et 2 avril.

Discographie sélective :

Caccini, L’Euridice. Scherzi Musicali, dir. N.Achten, RICERCAR

Dowland, Lachrimae. Dir. T. Dunford, ALPHA

Lully, Amadis. Les talens lyriques, dir. C. Rousset. APARTE

Mazzochi, La Catena d’Adone. Scherzi Musicali, dir. N. Achten, ALPHA

Purcell, How pleasant ‘tis to Love ! Scherzi Musicali, dir. N. Achten, ALPHA

Rameau, Les Indes galantes. La Simphonie du Marais, dir. H. Reyne, MUSIQUE A LA CHABOTTERIE

A paraître :

Rameau, Les fêtes de l’Hymen et de l’Amour. Le Concert Spirituel, dir. H Niquet. GLOSSA.

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