« La » Yoncheva, ambassadrice Rolex, nous révèle la dernière ligne de sa biographie dans le programme de ce récital clermontois ! Ses dispositions vocales méritent pourtant mieux que ce hochet m’as-tu-vu. Son intelligence vocale est foncièrement antinomique avec le « bling-bling » parvenu de l’horlogerie. Et puis la nouvelle coqueluche du belcanto est bien trop flamboyante pour se reconnaître dans une quelconque mécanique fût-elle des plus sophistiquées. Yoncheva c’est la personnification du pur plaisir du chant qu’elle offre sans retenue au public. Sans retenue certes, mais sans cultiver l’effet, sans chercher la séduction pyrotechnique. Ni perfectionniste désincarnée, ni démagogue, elle est nature et en assume pleinement les partis-pris et les difficultés. Elle joue naturellement de ce talent qui chez elle semble inné, ou plutôt ne devoir qu’à la sincérité de son engagement et à une conviction bien ancrée : celle que les prédispositions ne sont pas grand-chose sans la volonté de leur donner une âme. Et c’est ainsi qu’elle s’approprie des répertoires pourtant contradictoires. C’est aussi la leçon de sa prestation aux allures de grand-écart, entre des lieder de Clara Schumann et des mélodies de Pauline Viardot, par ordre d’entrée en scène.
Au service de la première nommée, des moyens techniques qui s’effacent devant une sensibilité très fine et impeccablement assujettie à une écriture d’une expressivité romantique toute en retenue. Au bénéfice de la seconde, des qualités de pure théâtralité qui s’assument crânement mais sans surexposer ce naturel à habiter les raffinements et la diversité des climats psychologiques. Les mélodies de Pauline Viardot, ce qu’a fort bien compris Yoncheva, sont un peu (et sans doute beaucoup) le reflet de l’exceptionnelle étendue vocale de « La » Viardot. En clair, la compositrice écrivait pour elle-même et ses pages en reflètent les exigences
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© Lucas Falchero
La capacité de persuasion de la soprano bulgare tient à ces facultés d’adaptation qu’elle partage avec son pianiste surdoué Federico Brunello, parfait complice en toute occasion. Elle peut, chez Clara Schumann, faire montre d’un très sûr instinct de séduction dans « Er ist gekommen » et l’instant suivant témoigner d’une subtile souplesse vocale teintée d’une troublante sensualité dans « Liebst du um Schönheit ». Toute la difficulté de ces Lieder consiste pour l’interprète à en traduire la gamme des émotions et des colorations qui sont plus suggérés par le texte écrit que dans la ligne mélodique. De la douce supplique de « Der Abendstern » culminant sur « möcht’ ich », aux accents tragiques de « Loreley », Sonya Yoncheva fait preuve d’un sens du pathos superbement élaboré autour d’un phrasé inattaquable et d’une phonation enveloppante. Le charisme de « Am Strande » avec des aigus au souffle long qui semblent intarissables, vont au cœur de l’émotion du poème. L’ampleur de ses portamenti reste toujours soyeuse et ductile et ses aigus projetés avec précision montent en intensité en conservant leur souplesse sans une once de dureté.
Mais plus encore, la sensibilité d’une Viardot lui va comme un gant. Elle y peut déployer un large éventail de ressources expressives et faire montre de ses dispositions de comédienne née. De ces mélodies trop oubliées, elle fait une galerie de portraits, de paysages et d’affects toujours en mouvement, passant de l’espièglerie de « Marie et Julie » à la poignante nostalgie de « Solitude », de la tendresse bucolique de « La petite chevrière », à la tristesse de l’absence et aux poignantes inflexions de la « Villanelle » pour conclure sur des vocalises funambules et des aigus de cristal de la « Tarentelle ».
Belcantiste dans l’âme, Yoncheva ne pouvait résister aux rappels du public et libérait toute la puissance vériste de son timbre dans « Non t’accostare all’urna » de Carlotta Ferrari, compositrice italienne elle aussi trop oubliée, avant de conclure avec un Federico Brunello survitaminé, sur un pétillant « O Paris, gai séjour » de Charles le Coq.