La récente prise de rôle de Jonas Kaufmann ne nous a pas fait pas oublier que deux distributions alternaient pour cette nouvelle production londonienne d’Otello. Pour trois représentations, le général maure est incarné par Gregory Kunde, déjà familier du rôle. Le ténor américain présente des qualités très différentes de celles de son collègue allemand. L’aigu est toujours aussi incroyablement percutant, rendant particulièrement électrisantes les scènes les plus héroïques, d’autant que le timbre, clair, se détache bien de l’orchestre : son « Esultate ! » est un vrai chant de victoire. Le duo avec Iago à la fin du deuxième acte est d’autant plus efficace que les timbres sont bien différenciés. A trop vouloir en faire, quelques attaques piano se sont en revanche avérées un peu instables (les début des duos avec Desdemona), mais en règle générale, la musicalité reste exceptionnelle. Dramatiquement, le chanteur a plutôt mûri son interprétation, juste et sans excès, à l’aise dans cette mise en scène. Surtout, à 63 ans, Kunde dispose d’une prestance et d’une assurance naturelle qui le rendent parfaitement crédible dans ce rôle de fauve blessé avec un « Dio mi potevi scagliar » anthologique.
© Catherine Ashmore
En Iago, Željko Lučić est plus à l’aise que dans d’autres rôles verdiens plus aigus et plus histrioniques. L’interprétation est parfois assez fine, crédible, sans excès grand-guignolesques. Vocalement, la voix est sure, le mixte est bien utilisé et, si l’on peut noter ça et là quelques soucis d’intonation, ils sont sans commune mesure avec ceux de son collègue de la première distribution.
La voix de Dorothea Röschmann nous a semblé un peu fatiguée : l’aigu est constamment forte, avec des respirations parfois mal venues. Toutefois, le chant, plutôt d’essence mozartienne (on pense un peu à Pilar Lorengar), recèle un véritable potentiel dramatique qui rachète largement ces défauts. Grâce à l’art du soprano allemand, la grande scène de Desdemona à l’acte IV, qui peut parfois être un long tunnel, fut un beau moment d’émotion.
La direction d’Antonio Pappano est toujours aussi électrique, mais on note quelques faiblesses dans l’orchestre (classiquement, chez les cuivres) et le chœur d’enfants nous a semblé encore plus criard (s’il s’agit d’une volonté de réalisme, on peut aussi demander aux chanteurs de parler…). L’ensemble des seconds rôles, inchangés, est toujours aussi excellent.
Au final, le Royal Opera aura su rassembler deux distributions très différentes mais tout aussi remarquables pour ce nouvel Otello.