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Olga Peretyatko : « Quand je me lave les dents le soir, je ne suis pas une diva ! »

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Interview
25 mars 2013

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Détails


Olga Peretyatko : « Quand je me lave les dents le soir, je ne suis pas une diva ! »

Entretien réalisé par Jean-Philippe Thiellay, décembre 2012

 

Depuis quelques temps, nous sommes plusieurs à nous dire que l’heure de gloire d’Olga Peretyatko va sonner. Son premier CD chez Sony, La bellezza del canto, a révélé une spontanéité, une fraîcheur, une insolence vocale qui donnait une furieuse envie d’en entendre davantage. Sa première Elvira, en France, fut une révélation. La beauté objective du timbre, un legato de velours et des variations ébouriffantes étaient presque attendus ; l’intensité dramatique, l’engagement et la présence sur scène ont chaviré les Lyonnais et les Parisiens. L’année 2013 s’annonce importante, avec des débuts au festival de Salzbourg, puis à Vienne et au Met, on espère un jour à l’Opéra de Paris. Rencontre avec une artiste disponible, simple, directe, polyglotte, passionnée par son métier et par le belcanto en particulier. Que de qualités !

Votre premier CD, La bellezza del canto, a été remarqué, et une large part du public français vous a découverte lors de votre récente Elvira des Puritani, à Lyon et à Paris. Quel a été votre parcours ?

Je suis russe… mais je n’ai jamais chanté en soliste dans mon pays. J’ai commencé à étudier à Berlin, assez tard puisque j’avais déjà 22 ans quand je suis entrée au conservatoire Hanns Eisler et mon premier diplôme était celui de chef de chœur. C’est un acquis extrêmement important que j’apprécie tous les jours : grâce à cela, je peux aller vite pour apprendre les rôles et la musique contemporaine ne me pose pas de difficultés. Par exemple, pour Le Rossignol, que j’ai chanté à Aix-en-Provence et qui est si difficile, cela m’a vraiment beaucoup aidé. Cette base, avec l’étude de l’harmonie et du solfège, me donne une grande sécurité et une certaine facilité à chanter avec les autres, à les écouter. J’ajoute qu’avec ça, je crois que je peux comprendre n’importe quel geste de n’importe quel chef d’orchestre. C’est utile, croyez-moi.

Parlons-un peu de vos enseignants…

Ma première enseignante de chant a été Brenda Mitchell, une canadienne installée à Berlin. Je lui dois énormément sur le plan technique. Les suraigus, je les avais déjà, mais elle m’a surtout apporté l’endurance, la capacité à chanter des heures sans jamais me fatiguer. Ne jamais forcer, ne jamais hurler, c’était son leitmotiv et pour une russe, cela n’est pas évident (rires !). Sa technique était italienne, basée sur le souffle. A vrai dire, la technique, il n’y en a qu’une. Soit tu l’as, soit tu ne l’as pas ! Et si tu ne l’as pas, la carrière ne va pas durer longtemps. Bien sûr, dans ce métier, on apprend et on progresse beaucoup tout le temps. Le corps change, la vie fait évoluer les choses, y compris sur un plan technique. J’ai eu aussi la chance de rencontrer de nombreuses personnes qui m’ont aidée. Je me rappelle en particulier mon premier coach vocal, américain, avec lequel j’ai travaillé mes premiers rôles.
 
Vous avez des modèles ?

Absolument ! Mariella Devia. Elle a 65 ans et elle chante comme une déesse. Je donnerais n’importe quoi pour chanter comme elle au même âge ! Et elle continue à débuter dans de nouveaux rôles, comme Norma bientôt.
 
En 2005, vous partez pour Hambourg.

Oui, en effet. En principe, à Berlin, la formation dure 6 ans et j’ai eu mon diplôme en 2009. Mais c’est un peu absurde car il faut une expérience de la scène avant d’envisager de s’engager dans la carrière. Si on attend trente ans, c’est tard ! Alors, après trois ans de conservatoire, j’ai été admise à l’Opéra studio de Hambourg où j’ai passé deux ans entre 2005 et 2007.

Quel regard portez-vous sur cette expérience de troupe ?

On y gagne énormément d’expérience car on travaille une quarantaine de rôles chaque année, des petits, des moyens et même des gros. J’ai par exemple chanté Marie de Zar und Zimmermann, avec beaucoup de texte et de récitatifs en allemand ! Un sacré travail ! Il y a eu aussi Barbarina, Papagena, Oberto dans Alcina, toutes ces jeunes filles un peu oies blanches. Mais j’ai chanté aussi des rôles wagnériens, dans Siegfried ou Tannhäuser (le jeune berger). J’ai ainsi commencé… et terminé ma carrière wagnérienne (rires) ! Sérieusement, j’ai été vaccinée contre la troupe ! A 10 heures du matin, tu répètes Wagner ; en fin de journée, tu chantes Mozart. Ce n’était pas pour moi.
 
2007 marque la rencontre avec Rossini. Comment êtes-vous arrivée à Pesaro ?
Quand j’étais en troisième année au conservatoire, j’ai chanté L’occasione fa il ladro, en allemand, à Berlin. C’était un travail d’étudiants du conservatoire, mais de bon niveau et c’est en fait mon premier contrat rémunéré. Le spectacle était drôle et il y a même un DVD – qui je crois n’est plus disponible. Le monde rossinien est très petit. Tout le monde sait tout et comme il y avait la presse, j’ai été repérée assez vite par Jochen Schönleber, l’intendant du festival de Bad Wildbad. Il m’a tout de suite proposé Tamiri, un petit rôle dans Semiramide de Meyerbeer, qui a été donné en 2005 sous la direction de Richard Bonynge*. Le style est très proche de celui de Rossini… et il y avait Alberto Zedda dans la salle. Il m’a auditionnée et m’a proposé de rejoindre l’académie rossinienne à Pesaro.
 
Vocalement, vous vous êtes sentie à l’aise tout de suite dans ce répertoire ?

Oui. J’aime beaucoup la liberté d’inventer des variations et, pour ma voix, l’écriture est très saine. Je peux chanter des heures et je me sens bien ! C’est aussi parfait pour accompagner une éventuelle évolution vers un répertoire plus lyrique. Les partitions de Rossini sont en fait assez centrales et c’est là qu’il faut trouver la couleur juste. Bien sûr, on peut ajouter des variations, des sur-aigus… mais tout se jour au cœur du registre et de l’ambitus. J’ai compris que là était ma voie. A Pesaro, j’arrivais comme une soprano colorature. Et cela ne s’est pas exactement passé comme je m’y attendais. Le stage dure deux semaines, avec des séances assez longues, y compris avec le Maestro Zedda, jusqu’à 10 heures du soir. On était tous morts de fatigue ! Au moment de choisir la distribution pour Il viaggio a Reims, je pensais que je ferais la Comtesse Folleville, que j’avais préparée comme cela était la règle. Et le maestro Zedda m’a dit qu’il détectait dans ma voix une dimension plus lyrique et il m’a demandé de chanter aussi Corinna. Et voilà mes débuts en Italie, avec Folleville le 16 aout et Corinna le 19 ! J’ai appris le rôle en quatre jours. Cela m’a fait faire quelques cheveux blancs car c’était stressant mais j’ai appris beaucoup. Tout est parti de là et en 2007, on m’a confié Desdemona dans Otello, avec Juan Diego Florez.

L’exigence d’orner, d’inventer des variations vous intéresse particulièrement ?

Oui ! J’ai découvert cela à Pesaro. Quand on arrive, avec les partitions, ils vous donnent, sans vous les imposer, les « variations officielles » que le maestro Zedda a composées, sur de grandes feuilles format A3, remplies de pattes de mouches illisibles. J’ai passé des heures à déchiffrer en essayant de comprendre comment il fallait chanter et si cela convenait à ma voix. Maintenant, j’ai tendance à écrire tout moi-même. Quand on réfléchit sur une phrase, cela doit venir tout de suite, spontanément. Si on réfléchit trop, c’est moins bon. Il ne faut certes pas dénaturer les mélodies, mais les enrichir. Dans Bellini c’est presque encore plus important. Dans Les Puritains, donnés récemment en France, je voulais en faire encore plus, notamment un contre-ré après la polonaise « Son vergin vezzosa ». Le maestro Pidò me l’a interdit… Il n’aime pas du tout les sur aigus finaux et je ne sais pas bien pourquoi. C’est vrai que dans Rossini, ajouter un aigu sur la dominante, cela va très bien. En revanche, il ne faut jamais aller sur la tonique, vers l’aigu. A Pesaro, c’est du reste absolument interdit. Peut-être, de temps en temps, un ténor le fait, sans demander, mais en principe, on ne le fait pas. C’est dommage, car le public adore.

Desdemona, créé par Isabella Colbran, Folleville, créé par Laure Cinti Damoreau, Corinna, créé par la Pasta, Elvira, par la Grisi … ce sont des vocalités assez différentes !

Folleville n’est pas si aigüe : du Si bémol grave au Si bémol aigu. Tout le reste, c’est l’inventivité de l’interprète. Corinna n’est pas très éloignée de ce type d’écriture. En plus, vous savez, la voix évolue rapidement. J’ai commencé comme mezzo-soprano et de fait, ma voix parlée est plutôt grave. A Saint-Petersbourg, où je chantais au sein du chœur des enfants, avec les seconds alti, du Mariinsky, j’étais la seule à pouvoir chanter vraiment grave, par exemple le mi bémol grave écrit dans Parsifal. Je ne pensais jamais que j’aurais ces notes aigües. Une phoniatre du théatre Mariinsky qui a vu passer dans son cabinet toutes les cordes vocales de tous ceux qui ont chanté sur cette scène, m’avait examinée et avait dit que j’avais des cordes vocales de soprano dramatique. Du coup, je peux chanter vraiment beaucoup de choses. C’est mon problème ! Quand Alberto Zedda m’a proposé la Desdemone, je savais que je serais critiquée car les gens me voient comme une Olympia : « c’est le rôle de Colbran » (mais personne ne l’a jamais entendue !) ; « ca n’est pas la tradition », etc, etc… J’ai dit à Zedda que je ne pourrai que chanter avec ma voix et mes qualités sans tenter de ressembler à je ne sais qui. Je ne suis pas Marylin Horne ! C’était quand même un grand risque, pour Zedda, pour le festival et aussi pour moi. Mais tout s’est bien passé. Quand j’ai repris le rôle à Lausanne, en 2010, c’était déjà très différent. La voix s’enrichit et je suis très curieuse de voir ce que cela donnera le jour où j’attendrai un bébé !

Avec tant de possibilités, quel est le rôle de vos rêves ?
Mais je vis dans un rêve ! Je peux faire tout ce que je veux : Lucia, Elvira, Gilda… Pour le reste, je sais être patiente. Je sais que je me dirige petit à petit vers Traviata. Je le sens. Après Gilda, on me l’a proposé tout de suite. Mais j’ai le temps. On verra aussi plus tard pour Anna Bolena. Je ne veux en aucun cas pas perdre l’agilité et la souplesse. En ce moment, je travaille Giunia, de Lucio Silla que nous donnerons à Salzbourg**. C’est un rôle inhumain, extrême. J’ai une colorature qui dure deux pages sans pouvoir reprendre souffle ou presque. Avec Fiorilla dans Il Turco in Italia à Amsterdam en avril dernier, j’ai beaucoup travaillé le souffle et il s’est allongé. Je fais des exercices pour cela tous les jours. C’est fondamental. Pour le reste, dans Rossini, à part Ermione, il y a énormément de possibilités. Tout dépend de la couleur, de la personnalité. Je pense aussi à Semiramide, bien sûr et on commence à en discuter. Sûrement pas dans les trois prochaines années, mais cela viendra.

Dans votre CD, vous avez enregistré quelques airs en français.

Oui, je parle un petit peu français, mais pas encore assez pour assumer tout un rôle. Je pars du principe que pour bien chanter un rôle, il faut comprendre et parler la langue, pour être libre de tout souci linguistique. J’ai très envie de ce répertoire où il y a tant de choses pour moi. Je dois trouver un projet, en France, pour que j’apprenne la langue ! Manon m’intéresse, mais pas pour tout de suite. Pour l’heure, je fais semblant de bien prononcer votre langue (rires).

Dans les prochains mois, vous débutez au Met, dans Elvira.
La direction du Met me l’a proposé avant même de savoir ce que ma première Elvira, à Lyon et à Paris, allait donner. C’est une belle marque de confiance. Il était prévu, depuis 2009, que je chante Fiakermilli, dans Arabella. Et puis, on se disait que débuter au Met avec ce rôle, qui n’est vraiment pas long, n’est sans doute pas la meilleure des idées. Après Le Rossignol et L’enfant et les sortilèges à Boston, que la critique a appréciée, le Met m’a proposé Elvira à la place de Fiakermilli.
 
Votre mari, Michele Mariotti, dirigera, à New-York ?

Oui, et j’en suis extrêmement heureuse. Vous savez, on s’est rencontrés sur une scène puisqu’il dirigeait Sigismondo à Pesaro en 2010. Depuis, on essaie d’éviter de pousser les théâtres à proposer des engagements communs car c’est toujours très délicat. On laisse les choses se faire normalement. Le monde belcantiste est suffisamment petit pour que l’on arrive à travailler régulièrement ensemble !

Quel rapport entretenez-vous avec Bellini ?

Bellini est très différent de Rossini. Bellini peut être très ennuyeux, vous savez. Tout dépend de l’interprète. Sa musique exige beaucoup plus de personnalité et de couleurs que pour Rossini. Pour que sa musique devienne vraiment passionnante, il faut y aller à fond. Les mélodies sont belles, c’est sûr, mais par exemple, l’orchestre chez Bellini, c’est « plum plum » pendant trois heures ! La seule manière de bien le chanter, c’est d’entrer dans le personnage et dans la musique. Quant aux variations de Bellini, elles ne donnent pas autant de liberté que celles de Rossini. Sa musique est beaucoup quasi romantique, en fait. Elle demande plus d’âme, d’engagement.

Vous êtes satisfaite de votre première Elvira ?

Oui ! L’orchestre de Lyon est vraiment fantastique. Nous avons trouvé des couleurs sublimes, par exemple dans le final du premier acte, « Ah vieni al tempio », que nous avons chanté tous ensemble pianissimo, orchestre compris. Ces deux pages ont fait un effet terrible. A Paris, l’orchestre était plus fort, je ne sais pas bien pourquoi, mais l’intimité a été un peu perdue.

Un mot sur votre vie, entre Salzbourg, Berlin, Bologne. Après quelques années de carrière, ce rythme vous convient ?

C’est un fait, une donnée. Si cela ne plait pas, il faut faire un autre métier. A ce point de ma carrière, je découvre, toujours en mouvement, je profite de ma chance, je prends l’avion dès que possible pour rejoindre mon mari. Si je devais rester deux mois à la maison, je n’en pourrais plus. Cette vie est une drogue et nous avons beaucoup de chance ! Le jour où j’en aurai assez… je ferai un bébé pour me poser un peu ! Il faut surtout faire attention à ne pas se fatiguer, à ne pas tirer sur la ficelle. Je donnerais cher pour que la téléportation existe.

Pensez-vous qu’il soit possible pour une jeune soprano de faire votre carrière, sans avoir le physique pour chanter Elvira ou Fiorilla ?

Ecoutez, moi, je ne me vois pas comme étant particulièrement belle. En plus, il y a le maquillage, le costume, la distance par rapport au spectateur. Alors, être belle, franchement, on s’en fiche ! Il faut être crédible. C’est sûr qu’on ne peut pas chanter Juliette en étant énorme. Mais les photos sur les pochettes CD, avec Photoshop, on fait des miracles. Le principal, c’est de bien chanter. Il reste que nous sommes des athlètes et qu’il faut soigner la forme physique. Trois heures sur scène, ca n’est pas rien. Par exemple, pour Lucio Silla, le metteur en scène Marshall Pynkoski, un ancien danseur, nous fait danser tout le temps. J’aime beaucoup.
 
Olga Peretyatko, êtes-vous une diva ?

(Rires) Pour bien travailler et bien chanter, il faut créer une atmosphère favorable avec les autres. Si les autres se sentent bien avec toi, ce sera aussi ton cas. J’ai eu des expériences pénibles avec ces divas, hommes ou femmes, et leurs caprices ridicules. Mais les temps ont changé : personne ne les veut plus ! Quand je me lave les dents le soir, je ne suis pas une diva ! Il faut surtout être soi-même.

* Un CD Naxos garde la trace de cette Semiramide.
** Lucio Silla, sera donné d’abord pour la semaine Mozart, à partir du 24 janvier, puis dans le cadre du festival d’été à partir du 27 juillet. Marc Minkowsky dirige et le rôle titre est assumé par Rolando Villazon.

 

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