A l’Opéra de Paris, l’année s’achève avec deux reprises autour du célèbre conte de Perrault Cendrillon, le ballet éponyme de Prokofiev à Bastille et La Cenerentola de Rossini à Garnier dans la production de Guillaume Gallienne, créée en juin 2017, que Christophe Rizoud dans son compte-rendu n’avait pas considérée comme une réussite, tant s’en faut. Au lever du rideau, si la façade délabrée de la demeure de Don Magnifico reflète bien la situation financière désastreuse du personnage, on ne comprend pas bien en revanche, pourquoi le palais de Don Ramiro se trouve dans le même état, des murs en ruines, un mobilier inexistant, le sol recouvert de cendres. On ne comprend pas non plus pourquoi le prince porte une attelle fixée à sa jambe droite qui l’oblige à claudiquer lorsqu’il se déplace, ce qui compromet sérieusement son pouvoir de séduction. A l’entracte plusieurs spectateurs, croyant que le ténor avait eu un accident, se sont émus de le voir chanter malgré son handicap. Cette vision misérabiliste de l’ouvrage, dépourvue de merveilleux et pauvre en effets comiques, sombrerait vite dans l’ennui si les interprètes réunis pour l’occasion ne captaient pas durablement l’attention du public.
© Emilie Brouchon / Opéra National de Paris
Rescapées de la distribution d’origine, Chiara Skerath et Isabelle Druet sont épatantes en sœurs méchantes qu’elles incarnent avec des voix solides et un jeu qui, certes, évite la caricature, mais paraît un peu trop sage. Adam Plachetka dont ce sont les débuts à l’Opéra de Paris, campe un Alidoro quelque peu effacé avec un timbre sans doute trop clair pour le personnage qu’on aurait aimé plus mystérieux. Il se tire néanmoins avec les honneurs des difficultés de son air « Là del ciel, nell’arcano profondo » grâce à une technique accomplie et un registre aigu solide. Le reste de la distribution est d’un niveau globalement supérieur à celle de 2017. Alessandro Corbelli est un Don Magnifico irrésistible, la grammaire belcantiste n’ayant plus de secret pour ce chanteur passé maître dans l’art du chant syllabique : chacun de ses deux airs est une leçon de style rossinien qu’il porte à son sommet, en dépit d’une voix sur laquelle les années ont laissé quelques traces d’usure dont il se sert pour mieux camper son personnage de barbon, avec une vis comica épatante. Florian Sempey ne fait qu’une bouchée de Dandini qu’il interprète avec son charisme habituel, une voix saine et bien projetée et un abattage de chaque instant qui réjouit le public. Lawrence Brownlee fait partie du cercle fermé des meilleurs ténors rossiniens du moment. Son Ramiro capté sur la scène du Metropolitan Opera a fait l’objet en 2009 d’une parution en DVD saluée par la critique. Dix ans plus tard, le ténor américain, toujours en grande forme, a livré une interprétation vocale de haute volée, n’hésitant pas à interpoler quelques suraigus dans sa partie notamment au cours son grand air du deux pour la plus grande joie des spectateurs. Marianne Crebassa enfin est la grande révélation de la soirée. Sa prise de rôle est une réussite absolue qui la propulse d’emblée au rang des plus grandes interprètes d’Angelina. On ne sait qu’admirer le plus, la somptuosité du timbre, l’élégance de la ligne de chant, la précision des vocalises dans un rondeau final ébouriffant ou cette petite touche de candeur dans la voix lorsqu’elle chante « una volta c’era un re ».
Soulignons enfin l’excellente préparation des chœurs masculins dont les interventions sont irréprochables. Evelino Pidò qui connaît son Rossini sur le bout des doigts propose une direction enlevée, d’une précision sans faille.