Être un comédien célèbre, doté d’une réputation comique, auteur d’un film à succès – Guillaume et les garçons à table – implique-t-il de savoir mettre en scène un mélodrame joyeux (melodramma giocoso) de Gioachino Rossini ? Tel est le pari imprudemment fait par Stéphane Lissner. « Pourquoi avez-vous pensé à moi ? », aurait demandé Guillaume Gallienne au directeur de l’Opéra national de Paris. La réponse laisse circonspect : « Parce que c’est sur la famille, c’est drôle et c’est cruel ». A deux ou trois gags près pourtant, sa lecture de La Cenerentola a décidé de ne pas faire rire, comme si Guillaume Gallienne ne voulait plus passer pour un rigolo et n’avait retenu que le dernier mot de Stéphane Lissner : cruelle donc, et surtout ratée. En même temps que l’aspect comique, l’approche gomme la dimension merveilleuse, également consubstantielle à l’ouvrage. Reste l’ossature du drame, habillée maladroitement d’oripeaux intellectuels destinés à justifier le parti pris. Sous prétexte que l’opéra faillit être créé à Naples, l’action est transposée dans un palais à la façade pouilleuse qui, une fois soulevée, héberge la cour du Prince. C’est là l’unique décor. Le sol recouvert de cendres évoque le Vésuve en même temps que l’âtre de l’héroïne. Les costumes, d’un réalisme rossellinien, suggèrent la mafia. Quoi d’autre ? Un travail convenu sur le mouvement, des erreurs de débutant comme celle de vêtir de blanc les deux sœurs et les figurantes, obstacle à une caractérisation des personnages pourtant indispensable, et la décision saugrenue d’empâter l’orchestration d’une harpe. Est-ce être « spécialiste de la spécialité » que s’indigner d’un tel traitement quand on sait les qualités d’orchestrateur de Rossini, surnommé pour cette raison par ses contemporains « il tedeschino » ?
Comment Ottavio Dantone a-t-il pu accepter un tel compromis, lui dont le sérieux musicologique est accrédité par une formation de claveciniste et un travail poussé sur les partitions de Pergolèse et de Vivaldi ? Le baroque semble mieux convenir au directeur de l’Accademia Bizantina que le romantisme naissant. Quelques dérapages et décalages devraient s’atténuer au fil des représentations. Souhaitons aussi qu’à l’usage, sa direction musicale gagne en jubilation crépitante, en ironie, en tendresse, en ce fourmillement de détails qui font le prix de la partition.
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Une fois l’excellence du chœur uniquement masculin soulignée, vient le moment le plus délicat de ce compte rendu : le passage en revue de chanteurs confrontés à des rôles d’une exigence intraitable, qui sans être indignes nous ont cependant paru ne pas être du niveau de ce que l’on attend de la première institution lyrique française, et d’une maison de renommée internationale. Disons simplement qu’Alessio Arduini a déjà interprété le rôle de Dandini au Staatsoper de Vienne – peut-on rêver meilleure carte de visite ? Comme à Limoges en avril dernier, Juan José De León est un prince attendrissant, intimidé par les difficultés de l’écriture mais à l’aigu percutant lorsqu’il parvient à surmonter sa timidité. Teresa Iervolino offre d’Angelina (Cendrillon) un portrait d’une modestie conforme au personnage. La voix épanouie dans le grave a pour premier atout la beauté enveloppante du timbre, d’une couleur sombre proche du contralto. De Don Magnifico, Maurizio Muraro possède la rondeur bonhomme. Vocalement assorties, Chiara Skerath et Isabelle Druet nous rendent Clorinda et Tisbe sympathiques. Contresens certes mais se plaindra-t-on que les ex-futures mariées soient trop belles ?
Ni philosophe comme le prétend le livret, ni magicien comme on le représente souvent, mais d’une sévérité christique, Roberto Tagliavini confirme ce qu’il confiait récemment à Christian Peter, à savoir ses affinités avec le répertoire rossinien. Présent dans les ensembles, toujours en mesure, le chanteur fait de son grand – et malheureusement unique – air un vrai moment d’opéra seria, où la résistance et l’agilité ne sont jamais prises en défaut, où la vocalise conserve sa noblesse expressive et où des variations bienvenues renouvellent le propos. Si Alidoro tire plus que jamais les ficelles du drame, il ne saurait cependant sauver à lui seul un spectacle mollement applaudi au tomber de rideau.