Oui, Respighi est avant tout connu comme un brillant orchestrateur, dont les Pins, Fontaines et autres Fêtes de Rome ont fait les délices de plus d’un mélomane. Mais Respighi savait aussi fort bien écrire pour cet instrument qu’est le larynx, et l’Opéra du Rhin mériterait mille mercis ne serait-ce que pour avoir donné à entendre une de ses œuvres vocales. Puisse l’Opéra de Versailles un jour monter le grand opéra Marie Victoire, comme il en caresse le projet (voir notre interview de Laurent Brunner), et puisse un théâtre français programmer La Fiamma plutôt tôt que tard. Par rapport à ces deux titres, La bella addormentata al bosco (ou dormente al bosco, dans sa révision de 1934) est une partition moins ambitieuse, mais qui charme par l’habileté avec laquelle le compositeur sait exploiter toutes les ressources de son art, avec toutes sortes de clins d’œil ou d’emprunts divers et variés : la forêt du premier tableau lorgne un peu vers Pelléas, le rouet évoque inévitablement toutes les fileuses et les Gretchen de la tradition occidentale, la Fée bleue s’exprime forcément en vocalises aériennes et Mister Dollar appelle un rythme de fox-trot. Pourtant, non content de prendre son bien où il le trouve, Respighi s’exprime aussi d’une voix plus personnelle dans le magnifique duo entre le Prince et la Princesse, digne des meilleurs opéras italiens.
© Alain Kaiser
Vincent Monteil, qui a assuré la réduction de la partition, et qui a traduit, non sans quelques acrobaties grammaticales, le texte original italien, sait faire ressortir toutes les beautés de cette musique raffinée, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg (pour les représentations parisiennes, c’est l’ensemble Le Balcon qui sera dans la fosse). Pour la mise en scène, on ne peut que saluer les choix de Valentina Carrasco, qui n’a rien gommé de l’aspect féerique de l’œuvre et a su en refléter toute la poésie avec une grande légèreté. Dans un décor exclusivement constitué de grands voilages, avec des costumes fantaisistes et colorés, elle réussit un enchantement qui permet aux adultes de savourer le plaisir du merveilleux, apparemment aujourd’hui jugé coupable puisque la plupart des metteurs en scène d’opéra s’empressent désormais de sacrifier cet aspect, même dans des œuvres où il est essentiel.
Quant à la distribution, elle est exclusivement composée de membres de l’Opéra Studio de l’OnR, et elle est incontestablement dominée par la très enchanteresse Kristina Bitenc en Fée bleue. Chantant dans un français impeccable, multipliant coloratures et suraigus, la soprano slovène ravit l’auditeur, ainsi que le spectateur par sa grâce en scène. En Princesse, Gaëlle Alix fait valoir un beau timbre mais gagnerait à améliorer son articulation. Le Prince de Sunggoo Lee dispose de très solides moyens vocaux, mais les notes semblent souvent bien engorgées ; à Paris, son rôle devrait être repris par Peter Kirk, ténor nettement plus léger mais sans doute plus à l’aise dans l’aigu. On regrette que la toujours excellente Lamia Beuque ne se voie confier que trois petits rôles, et l’on se dit que ses graves somptueux auraient fait merveille dans le rôle de la maléfique Fée noire, où Marie Cubaynes nous convainc moins vocalement que scéniquement. Le Roi de David Oller possède une fort belle voix, mais doit encore travailler son français. Jaroslaw Kitala impressionne dans les quelques mesures du Bûcheron, et Nathanaël Tavernier a trop peu à chanter en Ambassadeur pour que l’on puisse vraiment apprécier des qualités probablement plus en évidence dans le Mariage secret prévu ce printemps, où l’on retrouvera une grande partie de ces jeunes artistes.
Après un dernière représentation strasbourgeoise le 9 janvier à 20h, ce spectacle enchanteur sera à Paris du 17 au 22 janvier (Athénée), puis à Mulhouse du 30 janvier au 1er février : il serait dommage de manquer cette occasion de pur ravissement pour les petits et les grands.