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Klaus Florian Vogt, le juvénile controversé

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Actualité
21 juillet 2016

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Après avoir fait l’ouverture du festival de Bad Kissingen, Klaus Florian Vogt s’apprête à compter de lundi prochain, 25 juillet, à participer à une nouvelle production de Parsifal à Bayreuth. Portrait du plus controversé des ténors wagnériens.

Klaus Florian Vogt est par excellence ce que l’on appelle un Jugendlicher Heldentenor, mais tellement juvénile de timbre qu’il en suscite la controverse : voix incroyablement souple et claire ou manque de puissance et de graves ? Est-il l’interprète idéal du Chevalier au cygne et du Chaste Fol, ou se fourvoie-t-il complètement en osant chanter quelques-uns des grands rôles wagnériens ?

Né en 1970 à Heide, dans le Schleswig-Holstein, Klaus Florian Vogt a d’abord été corniste dans l’orchestre d’Etat de Hambourg (son père lui avait offert son premier instrument à l’âge de dix ans). Il n’est pas le seul ténor wagnérien à avoir commencé son parcours dans la fosse plutôt que sur la scène : trente ans auparavant, Siegfried Jerusalem fut d’abord bassoniste dans l’orchestre symphonique de la radio de Stuttgart avant de devenir un Tristan ou un Parsifal. Comment change-t-on de camp ? C’est bien simple. Alors qu’il était encore instrumentiste, Klaus Florian Vogt était déjà l’époux d’une chanteuse, la soprano Sylvia Krüger, qui fut au début des années 1990 la première soprano allemande à interpréter le rôle de Christine Daaé dans The Phantom of the Opera d’Andrew Lloyd Webber, aux côtés de Peter Hofmann à Hambourg. « C’est ma femme qui a découvert ma voix. Un jour, juste pour nous amuser, nous avons préparé un petit duo ensemble ». Il s’agissait du Duo des Chats. « Ma belle-mère, qui est également chanteuse, a dit en m’entendant : ça sonne bien, tu devrais te mettre au chant ». Evidemment, sa formation de musicien d’orchestre fut tout sauf inutile. « Quand vous apprenez à jouer d’un instrument à vent, vous apprenez très tôt à utiliser votre corps, à travailler avec votre souffle pour créer un son. Donc, dans un sens, le métier de corniste s’est avéré une très bonne préparation au métier de chanteur. Mais d’un autre côté, quand on chante, on ne fabrique plus le son de la même façon, on n’a plus à faire passer le souffle à travers quatre mètres de tuyau, donc les choses changent complètement. Et au bout d’un moment, j’ai compris qu’il valait mieux que j’abandonne l’instrument ! »

Qui a ensuite guidé Klaus Florian Vogt dans ses premiers pas de chanteur ? « Je n’ai jamais pris de cours de chant avec ma femme ! » En revanche, c’est vers le professeur de son épouse qu’il se tourna. « Mon premier professeur fut Günter Binge, à la Hochschule für Musik de Lubeck. Depuis plusieurs années, je travaille avec Irmgard Boas, une soprano dramatique qui fit une très belle carrière en RDA. A partir de 1961, elle n’eut plus le droit de voyager hors du pays, sans quoi elle serait devenue célèbre dans le monde ».

A vingt-sept ans, lorsqu’il se met à auditionner dans des théâtres allemands, Klaus Florian Vogt est aussitôt engagé au Landestheater Schleswig Holstein de Flensburg, petite ville du nord du pays. Par chance, on lui confie d’emblée des rôles de premier plan, surtout dans des opérettes, mais aussi dans le grand répertoire, notamment Tamino, qu’il conservera longtemps à son répertoire. Un Tamino enfant, à la voix limpide, presque sans vibrato.

L’expérience est concluante, mais comme le succès est au rendez-vous, il ne restera pas longtemps à Flensburg. Dès l’année suivante, le Semperoper de Dresde lui propose un contrat, qui durera jusqu’en 2003. A Tamino s’ajoutent Jeník de La Fiancée vendue (ou plutôt Hans, puisqu’il s’agit plutôt de Der Verkaufte Braut), Max du Freischütz et Adolar d’Euryanthe, et surtout Matteo d’Arabella, « qui est un rôle très lourd, en réalité ». A Dresde, Klaus Florian Vogt a l’occasion de côtoyer de très grands chefs, comme Giuseppe Sinopoli ou Daniel Barenboïm. Son répertoire va peu à peu s’étoffer, s’alourdir. A ses débuts, s’imaginait-il déjà en ténor wagnérien ? « Je ne pouvais pas savoir comment ma voix allait évoluer, mais j’avais l’espoir de devenir un chanteur wagnérien. C’était d’ailleurs ma motivation quand j’ai entrepris des études de chant. Déjà quand j’étais musicien d’orchestre, j’aimais beaucoup la musique de Wagner, qui me parle énormément ».

En 2002, cinq ans à peine après ses débuts professionnels dans le chant, il incarne son premier Lohengrin, à Erfurt. Coup d’essai et coup de maître, tant la pureté de la voix semble correspondre idéalement avec le caractère du personnage. Klaus Florian Vogt décide en 2003 de devenir chanteur « freelance » et d’entreprendre une carrière internationale. Son Lohengrin lui servira désormais de carte de visite et lui ouvrira les portes des plus prestigieuses maisons d’opéra. En 2006, le Met de New York l’appelle pour remplacer au pied levé Ben Heppner dans la production de Bob Wilson : les deux représentations auxquelles participe ce jeune Allemand inconnu font figure de révélation pour beaucoup de mélomanes américains. Dès l’année suivante, il chante le rôle à Milan, à Vienne et à Munich. De 2011 à 2015, il sera le Chevalier au cygne du fameux Lohengrin aux rats monté par Hans Neuenfels à Bayreuth, succédant à Jonas Kaufmann qui avait été en 2010 le premier interprète de cette production.

Avant d’en arriver là, Klaus Florian Vogt s’essaye à d’autres rôles wagnériens. Dès 2004, il aborde Walther von Stolzing et Parsifal. C’est d’ailleurs dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg qu’il fera ses débuts sur la Colline sacrée : en 2007, Robert Dean Smith étant en désaccord avec la mise en scène de Katharina Wagner, il faut rapidement lui trouver un remplaçant. Klaus Florian Vogt reprendra le rôle pour les trois éditions suivantes du festival de Bayreuth. Diction irréprochable et maîtrise des nuances, telles sont des qualités que beaucoup s’accordent à lui reconnaître.

C’est avec Parsifal que le ténor revient en 2004 à l’Opéra de Hambourg, non plus dans la fosse mais sur la scène. Avec cette œuvre, il retrouve un personnage juvénile, presque puéril, qui devrait aller comme un gant au Lohengrin acclamé dans le monde entier. C’est compter sans la maturation du héros qui, au troisième acte, n’est plus l’enfant sauvage du début : même des mélomanes appréciant sa voix lui reprochent parfois un certain manque d’émotion, comme si Parsifal traversait tout l’opéra dans une transe. Et une difficulté se présente aux directeurs de théâtre, qui doivent veiller à lui trouver une Kundry qui ne sonne pas comme la grand-mère du Chaste Fol.

Ténor wagnérien, peut-être, mais ses détracteurs préféreraient le limiter à des figures secondaires : David dans Les Maîtres chanteurs, Steuermann du Vaisseau fantôme ou Froh dans L’Or du Rhin. Mais Klaus Florian Vogt ne l’entend pas de cette oreille, et dans ces deux derniers titres, il vise des personnages plus importants : dès 2004, il interprète Erik du Fliegende Holländer dès 2004, seul personnage wagnérien dans lequel on ait pu jusqu’ici l’applaudir à l’Opéra de Paris, lors de la reprise de la production de Willy Decker à l’automne 2010. En 2005, il est Loge de Rheingold à Liège mais, dans la Tétralogie, il passe bientôt à Siegmund, qu’il abord en 2006 à Karlsruhe et chante principalement à Munich.

Klaus Florian Vogt, chanteur atypique et rafraîchissant, ou voix blanche et désincarnée ? Quintessence du vrai chant wagnérien tel que le compositeur l’avait rêvé, ou imposture totale ? Les avis sont radicalement partagés, et les qualificatifs plus ou moins insultants n’ont pas manqué. « Il chante comme une fille » ou « comme une fillette de 10 ans », affirment les uns. Plus raffiné et moins sexiste, « c’est comme si Juan Diego Florez chantait Wagner ». Plus radical : « Il ne sait pas chanter », ou « Ce type est une blague ». Là où ennemis et admirateurs se rejoignent, c’est pour reconnaître en Klaus Florian Vogt l’anti-Jonas Kaufmann, aussi clair de timbre que son homologue est sombre. Certains spécialistes distinguent entre les rôles « belcantistes » où le timbre de Vogt correspondrait à ce que Wagner souhaitait, et les rôles franchement héroïques, où un tout autre type de voix s’impose.

Jusqu’où ira donc Klaus Florian Vogt ? Y a-t-il des rôles wagnériens qu’il estime ne pas être pour lui ? « Tout est une question de temps mais, oui, j’espère que ma voix se développera suffisamment pour me permettre d’aborder les rôles vraiment lourds, dans un avenir pas trop lointain. Pour moi, la prochaine étape est Tannhäuser, je verrai bien comment ça se passe ». Ce premier Tannhäuser, il doit le chanter à Munich en mai 2017, dans une mise en scène signée Romeo Castellucci. « Dans quelques années, je m’essaierai peut-être à Tristan, et ensuite à Siegfried ». Les adversaires de Klaus Florian Vogt sont donc prévenus : si tout se passe comme il l’espère, il ne s’arrêtera pas en si bon chemin.

Cela dit, même s’il ne devait jamais mener à bien l’ascension des plus vertigineux sommets wagnériens, il resterait au ténor pas mal de rôles à explorer. « De Richard Strauss, je m’en tiens à deux personnages, ceux qui me conviennent le mieux. J’aime beaucoup l’empereur de La Femme sans ombre, je serais ravi de retrouver ce personnage ». Quant à Bacchus, on peut citer ici ce qu’en écrivait Christophe Rizoud lors de la dernière reprise d’Ariane à Naxos au Palais Garnier : « dans le cas présent, la blancheur de timbre n’est pas rédhibitoire, elle satisfait la condition divine du personnage. Aucune des intonations sirupeuses qui rendent certains enregistrements horripilants n’affadissent l’interprétation. Au contraire, vaillance et puissance font le dieu mâle sans que jamais l’écriture ne semble lui poser la moindre difficulté, comme si chanter Bacchus était jeu d’enfant ».

Dans la même veine post-romantique, Klaus Florian Vogt s’illustre aussi en Paul de La Ville morte, rôle qu’il chantera l’an prochain à Vienne dans la production de Willy Decker vue à Paris. Lors de son dernier passage par la capitale, en janvier 2016, c’est d’ailleurs avec l’opéra de Korngold qu’il s’est produit en concert, prestation qui n’inspirait que des éloges à notre collègue Yannick Boussaert : « Souvent les interprètes passent en force aux dépens d’une écriture qui voudrait subtilité, douceur et cantabile. Le ténor allemand, lui, relève le gant avec l’aisance acquise à force de fréquentation des rôles wagnériens, grâce aussi à un timbre clair qui présente Paul sous un jour tendre et fragile, entre deux accès de colère ». A peine moins exigeant, le Prince de Roussalka revient à intervalles réguliers dans l’agenda de Klaus Florian Vogt.

Si l’on remonte les siècles, on trouve l’unique rôle franchement pré-wagnérien que Klaus Florian Vogt chante  souvent : Florestan. Le 7 décembre 2014, il participait notamment au Fidelio d’ouverture de saison à La Scala, suscitant à nouveau les réactions contrastées dont il est coutumier. D’un côté, on s’extasie sur la lumière du chant, de l’autre on vilipende la légèreté de la voix comparée aux grands titulaires du rôle. On pourrait pourtant supposer que, près de vingt ans après ses débuts, la voix a eu le temps d’évoluer. « Je pense que, sur le plan technique, je chante toujours Florestan de la même manière, mais bien sûr la voix prend de l’ampleur, donc on découvre davantage de couleurs, d’autres façons de résoudre certains problèmes, c’est pourquoi il me paraît toujours intéressant de reprendre un rôle à plusieurs années d’écart. J’aime l’idée de me développer avec un personnage ».

Certains rôles n’ont fait l’objet que de tentatives sporadiques : Hoffmann à Tokyo, Cavaradossi à Berlin. Plus étonnante, l’incursion de Klaus Florian Vogt dans un rôle mozartien qu’il n’a jusqu’ici abordé qu’à Paris : Titus. « Ça me plaît beaucoup, de pouvoir aborder plusieurs répertoires différents. Je chante beaucoup moins Mozart qu’à mes débuts, malheureusement. Quand on a une réputation de ténor wagnérien, c’est difficile, parce qu’on ne vous fait plus confiance pour Mozart ! »

Quand on demande à Klaus Florian Vogt quels sont les grands ténors allemands qu’il admire, la réponse n’a rien de bien étonnant : « J’aime beaucoup Peter Hofmann, ou René Kollo ». S’il partage avec le premier une longue crinière blonde, il a en commun avec ces deux wagnériens le fait de ne pas dédaigner pour autant l’opérette ou le musical.

Propos recueillis et traduits le 24 juin 2016 à Bad Kissingen

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