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John Turturro : « La musique est ce qui nous rapproche le plus de Dieu »

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Interview
1 mars 2022
John Turturro : « La musique est ce qui nous rapproche le plus de Dieu »

Infos sur l’œuvre

Détails

Comédien mythique, complice des Frères Coen, John Turturro s’est vu confier en 2018 la mise en scène d’un Rigoletto aujourd’hui repris à Liège, après Turin. En pleine promotion de Batman, le comédien nous répond depuis New York, et nous fait part de son rapport intime et émotionnel avec la musique. 


Depuis la production de 2018 à Palerme, qui est reprise à Liège, votre vision de Rigoletto a-t-elle changé ?

Vous savez, à l’opéra, quand vous avez devant vous le décor et les costumes, il est un peu difficile de changer complètement de conception. Cela me fait penser à Giacometti à qui on avait commandé une statue monumentale pour un vaste espace et qui, le jour venu, était arrivé avec une statuette qui tenait dans sa poche. C’est plus compliqué à l’opéra. Par ailleurs, pour ma première fois, je n’ai pas cherché la transposition dans le Berlin des années Trente ou le New York des années Soixante. Cependant, oui, je dois dire que si j’avais pu, j’aurais encore simplifié, retranché, d’autant que Liège est plutôt un de ces petits théâtres comme je les aime.

Quand on vous a confié cette production, à quoi avez-vous donné la priorité ?

Le plus important pour moi a été d’accorder ma sensibilité et celle des chanteurs. Sur une scène d’opéra, on chante fort, on projette la voix, mais en réalité c’est dans la subtilité et la délicatesse que tout se joue. C’est dans les nuances que se livre la vérité de l’œuvre. La difficulté est que, comme metteur en scène d’opéra, je ne suis pas responsable du casting qui est, au théâtre, 75% du travail. Quand on a trouvé ses acteurs, le chemin est presque fait.

Selon vous, quel est le sens de cet opéra – est-il politique, moral, sentimental ?

Oh pour moi, c’est d’abord l’histoire d’un rapport père-fille. Le personnage principal n’est assurément pas le Duc. C’est le père. Tout tient au clivage qui existe entre ce qu’il fait dans la vie – bouffon de cour – et ce qu’il est comme père et ce qu’il veut enseigner à sa fille. C’est un clivage très répandu, jusque dans nos vies modernes. Nous savons que nous faisons pour vivre des choses qui sont du divertissement, qui ne sont pas nourricières, alors que nos vraies valeurs sont ailleurs.

C’est aussi le sujet de la série Severance où vous jouez un des rôles principaux !

Oui, mais il y a tellement plus de beauté chez Verdi. Tellement plus. C’est pour cela que cela reste et perdure. C’est comme chez Primo Levi ou Samuel Beckett, ce mélange de vérité et de beauté est gage de durée. Mais avec la musique, c’est encore autre chose. Il y a cette nécessité profonde et cette spiritualité qui en font la chose la plus proche de la religion et de Dieu.

Vous venez d’une famille très musicale et êtes un grand fan de musique : avez-vous un jour rêvé d’être chanteur d’opéra ?

Oh oui ! J’ai même joué un chanteur d’opéra ! (dans The Man who cried, de Sally Potter, en 2000) Evidemment j’étais doublé mais j’ai travaillé avec un chanteur d’opéra et je chantais à tue-tête ! J’aurais adoré chanter « Di Quella Pira » ou Tosca. J’ai d’ailleurs chanté une fois sur scène dans Zorba. J’étais tellement nerveux. Heureusement ou malheureusement, ma mère n’était pas en vie pour voir ça !

Votre rapport à la musique semble être profondément émotionnel…

Oui, dans Rigoletto, au moment du premier duo entre Rigoletto et Gilda, on ne peut pas retenir ses larmes. Au théâtre, on peut être ému, mais pleurer ainsi ? Où peut-on entendre à ce point le mélange de tragédie grecque et de délicatesse extrême ailleurs que dans l’interprétation de Gilda par Maria Callas ? Pour se rendre compte de la capacité émotionnelle de la musique, il suffit de se reporter à la musique dans les films : avec ou sans musique, cela change tout ; mais vous avez aussi cet art très spécial de concevoir une musique qui accompagne ou qui contredit l’image, de la caler au juste moment, ni trop tôt ni trop tard, comme une alchimie. Ma conviction est que l’oreille l’emporte sur l’œil, car l’oreille permet seule d’imaginer.

Cette mise en scène de Rigoletto est une nouvelle étape dans ce qu’on pourrait appeler votre « quête italienne », liée à votre compagnonnage avec Francesco Rosi, votre film Passione, votre rôle dans La série Le Nom de la Rose… Est-ce une quête de vos origines ?

C’est une manière de me rendre compte combien je suis « mélangé ». Aller en Italie, dont mes deux parents proviennent, c’est percevoir toute une complexité, tout une étrangeté, et cependant me dire : « je comprends cela, je ressens cela ». C’est une manière pour moi de savoir qui je suis. Cette quête est loin d’être terminée.

 

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