Ce devait être une simple reprise de la production de Faust créée par Jean-Louis Martinoty dans ces mêmes lieux en 2011. Les critiques assassines pointant des effets grands guignolesques auront vraisemblablement signé le glas de cette dernière. Subsiste cependant le décor monumental de Johan Engels, s’agissant ici d’une nouvelle mise en scène et non pas d’une nouvelle production (on notera la subtilité). L’auteur de ces lignes ne pourra malheureusement se livrer à une comparaison des mérites de l’ancienne et de la nouvelle mise en scène, ayant assisté en 2011 à une version de concert, pour cause de grève.
Dans sa note d’intention, Jean-Romain Vesperini, qui a été formé auprès de Peter Stein, George Lavaudant ou Luc Bondy, indique vouloir transporter l’action dans les années 30, période de bouleversement politique et économique… soit. Il évoque également l’ambiguïté du livret : tout l’opéra ne serait-il pas les dernières visions délirantes d’un Faust ayant bu le poison ? Très bien. Encore eût-il fallut exploiter ces idées. Or, il ne se passe pas grand chose sur scène. Il faut dire à la décharge du jeune metteur en scène qu’il ne dispose que de quelques accessoires pour habiter les décors créés pour un autre : un bureau à l’acte un, un bar à l’acte 2, des bancs et un arbre à l’acte trois ou un cercueil à l’acte quatre. Il utilise d’ailleurs à peine la grande bibliothèque-escalier rescapée de la production précédente, qui sert seulement à délimiter l’espace scénique. Une direction d’acteurs millimétrée aurait pu compenser cette sobriété, mais ici encore on ne voit pas beaucoup l’influence des maîtres revendiqués. Reste un spectacle de « tradition » où les chanteurs semblent plus ou moins livrés à eux-mêmes. S’installe alors un ennui certain que vient troubler un pétard en ouverture de la scène de Walpurgis, qui fait sursauter la salle. Des huées viennent sanctionner cette illustration un peu plate aux saluts. On se pose alors la question : n’aurait-il pas mieux valu finalement conserver les effets spectaculaires à effet involontairement comique de la production Martinoty ? Nous laisserons les spectateurs qui auront eu la chance de voir les deux se prononcer.
En tout état de cause, on ne venait à l’origine pas forcément pour la mise en scène. En effet, dès avant l’annonce du changement de metteur en scène, l’événement était créé par une distribution qui s’annonçait alléchante. Le résultat final est plutôt contrasté.
On notera tout d’abord l’effort commun de prononciation du français et de diction dont font preuve les chanteurs : à l’exception notable de Krassimira Stoyanova dont le sens des mots se perd parfois, il n’est pas nécessaire de se référer constamment aux surtitres pour suivre le livret.
Dans le rôle titre, Piotr Beczala déroute d’abord avec quelques duretés dans le timbre qui s’effacent peu à peu. Son français un peu sur-articulé manque de naturel, mais pas de charme. Reste cependant un registre aigu au rayonnement limité, même s’il atteint le contre-ut du « Salut demeure chaste et pure ». La Marguerite de Krassimira Stoyanova ferait presque oublier par son soprano pulpeux et caressant le costume ridicule dont elle est affublée : cheveux et jupe (sous le genou) orange et pull vert anglais. Etonnant dans ces conditions que Faust tombe en extase devant cette apparition ! Elle parvient à renouveler par ailleurs l’écoute de son rebattu « Ah ! Je ris de me voir si belle » par quelques alanguissements et autres ruptures de rythme du plus bel effet. On peut cependant se demander si la soprano bulgare trouve dans Marguerite ses plus belles notes : les suraigus n’ont pas la même plénitude que le reste de la tessiture et l’opulence de la voix semble bien peu conforme au caractère juvénile du personnage. Enfin, comme indiqué plus haut, sa diction française se fait parfois confuse.
Est-ce d’avoir été biberonné au Méphistophélès de Boris Christoff, à la noirceur et au cabotinage diaboliques ? En tout cas celui d’Ildar Abdrazakov paraît un peu pâlichon. Dès son entrée « Me voici ! » ce diable ne fait pas bien peur, question de volume sonore et de couleur. Il nous avait semblé plus impressionnant dans le Moïse et Pharaon de Rossini, déjà en français, à Marseille en novembre dernier. De plus, il semble ce soir fâché avec la battue du chef qui le perd à chaque refrain du « Veau d’or ». Jean-François Lapointe (Valentin) semble également devoir forcer ses moyens pour remplir l’immense nef de Bastille. Une diction superbe et un engagement sans faille lui permettent cependant de rafler la mise et de déclencher les premiers applaudissements de la soirée à l’issue de son « Avant de quitter ces lieux ».
Siebel trouve en Anaïk Morel une interprète charmante, à la diction mordante et à la belle projection. La jeune mezzo bénéficie du rétablissement de son second air, souvent coupé, pour imposer son jeune garçon frémissant. De même, Dame Marthe peut compter sur toute l’expérience et la rouerie de son interprète, Doris Lamprecht, pour donner tout son sel au duo comique qu’elle forme avec le diable.
Les chœurs sont essentiels dans Faust. Chœurs de soldats, de villageois ou voix d’en haut, ils sont omniprésents. Si les sonorités du Chœur de l’Opéra de Paris ne sont pas toujours aussi fondues que souhaité, on salue leur cohérence et de beaux effets polyphoniques. On en terminera par le héros du soir à l’applaudimètre. Michel Plasson n’a plus rien à prouver dans ce répertoire qu’il connaît comme sa poche. Il sait mettre en valeur les couleurs de l’Orchestre National de l’Opéra de Paris. Si on admire sa direction toute en nuances, aux tempi plutôt mesurés, on pourrait y souhaiter plus d’arêtes et de tranchant, plus d’effets et moins de fondu : du fait de son volume et de son acoustique, l’Opéra Bastille se prête en effet davantage au Technicolor qu’à l’aquarelle ! On ne remerciera en revanche jamais assez le maestro de nous permettre d’entendre un Faust sans coupures.