Avec tout son génie, Beethoven ne pouvait pas prévoir que son deux-cent cinquantième anniversaire serait à ce point obscurci par une pandémie mondiale. Partout dans le monde, les célébrations ont été annulées. Les lampions de la fête se sont éteints. Alors que Beethoven avait nourri tant de symboles, de la réunification allemande à l’hymne européen, sans parler de la Cour du Louvre en 2017, sa puissance n’a rien pu faire – même symboliquement – contre la pandémie. Quelques concerts et quelques disques, tout au plus, seront venus nous réchauffer le cœur.
Aussi a-t-on reçu avec gourmandise la liste des célébrations de 2021. Quoi ? Beethoven passé à la trappe, on s’avise encore de prétendre fêter de moindres pointures ? C’est en tout cas ce à quoi invite un nouveau comité, France Mémoires, placé sous l’égide de l’Institut de France. Ce comité remplace le Haut-Comité des Commémorations Nationales qui, en 2018, avait inscrit dans son calendrier la figure honnie de Charles Maurras (d’où polémiques, invectives, démissions en bloc, dissolution : la France).
Les naissances et les décès sont retenus pour autant qu’ils entrent dans une comptabilité en sièces ou demi-siècles. Cette liste recensant toutes sortes de grandes figures françaises, de Napoléon à Baudelaire, fait la part belle à la musique. On se souviendra ainsi qu’Auber est mort le 12 mai 1871. Que Pauline Viardot naquit le 18 juillet 1821. Que Josquin des Prés décéda le 27 août 1521. Que Camille Saint-Saëns mourut le 16 décembre 1921.
Il faut se réjouir que Le Duc d’Olonne, Les Chaperons Blancs, Fiorella, La Bergère Châtelaine, Le Lac des Fées, Zanetta, L’Ancêtre, Déjanire, Phryné, Trop de femmes, Le Dernier Sorcier, Le Miroir refassent leur apparition sur les scènes françaises, et que les chansons de Josquin – Mon mary m’a diffamée, Je me complains, Petite camusette, Plaine de dueil, Je ris et si ay larme, – retrouvent de leur superbe. Car à quoi bon ces listes de célébrations si ce n’est pour rajeunir des pans entiers de notre patrimoine ?
Il est à craindre cependant que ces anniversaires, outre la pandémie, ne soient victimes de ce qu’ils entendent réparer : une amnésie générale. C’est triste à dire, mais il est probable que ces célébrations souligneront le degré d’oubli où sont tombées ces œuvres, malgré le travail patient et dûment reconnu fourni par quelques aventuriers de la croche perdue. Passer son tour, seul Beethoven peut se le permettre : si l’on ne donne pas en 2021 Frédégonde ou encore L’Ogre, c’en sera fait de leur postérité. A jamais.
En outre, ces anniversaires français seront, en France même, oblitérés par des célébrations qui parlent plus vivement à la mémoire : Napoléon, Baudelaire, Proust, Feydeau seront de la partie. En musique, Yves Montand est né un 13 octobre 1921 et Brassens le 22 octobre de la même année. Ils seront dûment fêtés, n’en doutons pas.
Et puis s’ajouteront des incontournables : les cinquante ans de la mort de Stravinski, les deux-cent-quatre-vingts ans de la mort de Vivaldi, les cent ans de Piazzolla et même les cent ans de la mort de Caruso. Tout cela pèse un peu plus lourd que les délicieux opéras comiques d’Auber. A l’heure où l’incertitude règne, où la ruine menace, comment ne pas comprendre les maisons d’opéra et les labels discographiques de miser sur des valeurs sûres plus que sur des redécouvertes périlleuses.
Le lyricomane n’est pas rétif aux valeurs sûres. Il y a dans le genre lyrique même quelque chose d’aimablement suranné qui n’est pas pour rien dans son charme, ni dans le type de public qu’il attire. C’est pourquoi en 2021, nous miserons tout sur la plus sûre des valeurs sûres, sur ce qui jamais ne déçoit, sur ce qui nous fait courir les yeux fermés, acheter nos tickets au prix fort, qui nous mène au bout du monde de PCR en quarantaine, et dont l’anniversaire en 2021 éclipsera absolument tous les autres. Car le 18 septembre 2021, Anna Netrebko fêtera ses cinquante ans. Qu’on se le dise.