Naît-on belcantiste ? C’est la question que l’on se pose face à l’histoire de l’interprétation. Diana Damrau, elle, fait tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas se laisser cloisonner à un seul répertoire. En résulte une mise en danger permanente, qui décuple l’excitation de l’auditeur. La voilà en reine Donizettienne, dans ce portrait discographique croisé de trois grandes souveraines. L’un des sommets du répertoire belcantiste dramatique.
Pourquoi ce programme, pourquoi les Reines, pourquoi maintenant ?
Je m’étais déjà penchée sur les reines Tudor en chantant ma première Maria Stuarda à l’opéra de Zurich il y a deux ans. Il y avait alors la possibilité de faire un enregistrement avec Antonio Pappano et l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia. Les moyens nous ont été donnés pour faire un très bel enregistrement, qui ressemble d’ailleurs plus à un enregistrement d’opéra qu’à une suite d’airs. Antonio Pappano et moi n’avions jamais enregistré les scènes finales de ces trois opéras, c’était le moment.
Que représente pour vous le rôle d’Elisabeth ?
Des trois reines, elle est historiquement la plus importante pour moi. Elle est présente dans les trois opéras. C’est une petite fille dans Anna Bolena, parfois jouée par une adolescente. Dans Maria Stuarda, elle est confrontée à sa cousine, confrontation qui n’a jamais eu lieu, mais qui permet à Donizetti un coup de théâtre incroyable. C’est dans Roberto Devereux que l’on prend toute la mesure de la tragédie de sa vie : Elisabeth donne tout ce qu’elle a à son pays, néglige ses émotions, met sa vie en danger, renonce à ses amis et amants.
Partagez-vous quelques traits de personnalité avec ces grandes Reines ?
Je suis femme, comme elles, et la femme est au centre de ces opéras de Donizetti. Je veux trouver comment elles ont exprimé leur drames. Les situations sont différentes de celles que nous vivons, mais les sentiments sont les mêmes. Je ne suis pas une reine, mais, comme elles, j’ai mes luttes, pour la planète, pour mes enfants et les émotions que je ressens ressemblent aux leurs. Il y a parfois des choses que je dois attaquer comme une reine, et je dois lutter pour ça, pour le monde ou pour moi-même. Ces reines ont lutté, ont eu des déceptions. Elles étaient des femmes, simplement. Elisabeth a mis de côté sa féminité, s’est fait surnommer the virgin Queen, a fait passer son devoir et ses responsabilités avant tout. Elle est restée seule, mais dans Roberto Devereux, on voit qu’elle a un cœur. Ces sentiments la font imploser, en quelque sorte. Elle est tellement contrainte par ses devoirs qu’elle semble mourir debout, dans son corsage.
Chante-t-on Strauss, Donizetti ou Mozart de la même manière ?
Il faut travailler la voix le plus naturellement possible et trouver son propre son, s’enrichir techniquement sans cesse pour garder la voix flexible. Avec la technique bel canto et Mozart, on est forcé de chanter le plus clair et le plus propre, le plus exact possible, sans pression, comme un instrument. Tout répertoire devrait être chanté comme ça, même le vérisme, où l’on excuse des gestes vocaux extrêmes techniquement discutables. Je ne peux pas chanter Strauss comme du bel canto : la production du son est la même mais je dois adapter mon geste à la musique, au style et à l’orchestre, qui sont différents. Celui de Mozart est plus léger quand celui de Puccini est plus imposant. Cela change le geste, c’est toujours une question de dosage.