A l’instar de Francis Poulenc, Olivier Py serait-il tour à tour moine et voyou ?
C’est en tous cas une mise en scène extrêmement sage, reprise d’une production du Théâtre des Champs Elysées de 2013, qu’il propose pour ce Dialogues des Carmélites, dernière grande partition de Poulenc, d’une intensité dramatique très forte et qui pose maintes questions sur le sens de l’engagement religieux, la force de la foi, la place de la liberté, le sens du martyre. A dire vrai, toutes ces questions, c’est plutôt la pièce de Bernanos qui les pose ; la musique de Poulenc, confondante de sincérité et qui semble animée d’une foi profondément chevillée au corps, bien plus humaine, illustre le propos avec tendresse, lui assurant continuité dramatique et cohérence.
Pas de transposition, donc, et on s’en félicite, pas de relecture contemporaine, le sujet garde toute son actualité, mais une mise en scène radicale, qui colle au texte et en souligne toute la froide rigueur avec une théâtralité assumée. Dans de somptueux décors (Pierre-André Weitz), faits de panneaux coulissant qui composent ou dévoilent très aisément les différents lieux du drame, une quasi absence de couleur et des éclairages toujours un peu chiches (c’est une constante chez Olivier Py qui semble privilégier l’ombre à la lumière ou le noir et blanc à la couleur…) la succession des tableaux conduit la pièce vers son dénouement, vers la scène ultime qui donne tout son horrible sens à l’œuvre. Certaines scènes sont particulièrement travaillées, comme celle de la longue agonie de Madame de Croissy, vue d’en haut (si l’on était au cinéma, on dirait qu’on a collé la caméra au plafond) d’un réalisme saisissant et qui glace le spectateur pris d’effroi, ou comme la scène finale, sans figuration exagérée du supplice, mais avec une évocation très poétique de la montée au ciel des quinze malheureuses carmélites sacrifiées sur l’autel de la terreur. Une peu moins à son aise dès qu’il n’y a plus de texte, la mise en scène peine à meubler les interludes orchestraux soigneusement composés par Poulenc pour permettre les changements de décors et rendus inutiles ici par la virtuosité de la conception technique du spectacle.
A l’entame de la soirée, Peter De Caluwé, directeur de la maison, venait demander l’indulgence du public pour Sophie Koch, la voix quelque peu altérée par un refroidissement, et annoncer la défection de Sylvie Brunet, prévue pour chanter le rôle de Madame de Croissy, et son remplacement tout à fait inopiné (à 17h30 pour le soir même….) par Sophie Pondjiclis. Compte tenu de ces circonstances, la performance de cette jeune chanteuse transformée en vieille femme agonisante est remarquable d’intensité, de précision et de justesse, et sa mort les bras en croix constitue sans conteste le point dramatique culminant de la première partie du spectacle. Mais la production bénéficie aussi du concours de quelques très grandes voix du chant français, au premier rang desquelles on trouve Patricia Petibon en Blanche de la Force, qui rend très fidèlement le caractère excessif et exalté du personnage, avec une aisance vocale absolue. Véronique Gens campe une Madame Lidoine raide comme la justice, vocalement parfaite, tout comme Sandrine Piau en Sœur Constance, très émouvante, rendant la fragilité et la candeur du personnage sans rien perdre de son énergie vocale. Toutes trois très bien distribuées, Sophie Koch (Mère Marie), Mireille Capelle (Mère Jeanne de l’Enfant-Jésus) et Angélique Noldus (Sœur Mathilde) complètent la distribution féminine.
Du côté masculin, c’est Stanislas de Barbeyrac qui domine largement, avec là aussi une grande aisance vocale, une diction parfaitement claire et une exceptionnelle présence scénique. Nicolas Cavallier dans le rôle du Marquis de la Force est très crédible également, même si la voix porte un peu moins. Guy de Mey fait un aumônier sobre et juste. Seul Nabil Suliman, dans son triple rôle, peine à passer l’orchestre.
Dans la fosse, l’orchestre joue bien et fort, parfois en compétition avec les voix. Alain Altinoglu a choisi une lecture très dramatique de la partition, privilégiant des tempos rapides et une dynamique large sur la recherche de couleurs orchestrales, que l’écriture particulièrement riche de Poulenc permet pourtant.
La distribution n’était pas la seule à souffrir des premières rigueurs de l’hiver. Dans la salle aussi, le public mondain des premières toussait considérablement, sans discrétion ni vergogne, ce qui ne l’empêcha pas d’applaudir très vivement cette excellente production.
Signalons enfin qu’une deuxième distribution réunit Anne-Catherine Gillet (Blanche de la Force), Marie-Adeline Henry (Madame Lidoine), Karine Deshayes (Mère Marie) et Hendrickje van Kerckhove (Sœur Constance).