Il y a d’abord l’eau, omniprésente, hypnotique car improbable sur un plateau de théâtre. Cette masse liquide et noire occupe toute la scène et fascine le regard qui ne s’en lasse pas. Ses ondulations sont métaphores des forces inconscientes en présence qui poussent Senta vers son inexorable destin.
Il y a ensuite le feu, qui symbolise notamment la passion irraisonnée de l’héroïne, dans un immense brasero qui se reflète superbement dans l’eau.
Il y a également les coreligionnaires de la jeune fille, noyées diaphanes, qui se jouent de l’élément liquide dans lequel elles dansent et glissent, ainsi que de malsaines sirènes. Elles évoquent les épouses infidèles du Hollandais Volant, maudites pour l’éternité, avertissements du destin qui menace Senta si elle le trahit.
©Peer Palmowski
Il y a aussi la brume qui transforme le plateau en dissimulant l’océan au profit d’une atmosphère plus irréelle encore. Son épaisseur en fait autant l’évocation de l’air que de la terre qui est l’élément volontairement manquant de l’œuvre alors même que dès le départ les marins croient rentrer au port. Une terre qui jamais ne sera visible au cours de la soirée sinon par quelques bittes d’amarrage sur lesquelles les personnages s’arqueboutent. La brume a également l’intérêt très concret de dissimuler l’eau, renouvelant les images pour le spectateur et recréant du spectaculaire à son retour. D’autant plus que la musique de l’onde, calme ou tempétueuse, est un véritable terrain de jeu pour les chanteurs qui en jouent et l’animent à chacun de leur mouvement comme un écho de leur état intérieur.
L’élément le plus stable du plateau est ce cadre noir où s’inscrivent en blanc le décompte des jours d’exil du Hollandais, comme si sa malédiction constituait le seul invariant d’un univers mouvant où même les navires ne sont présents que par leurs cordages.
Toute la mise en scène des sœurs Blankenship s’articule autour de cette évocation puissamment archaïque des quatre éléments, nous connectant ainsi à des émotions moins intellectuelles qu’intensément sensuelles, ancrées dans notre cerveau reptilien. La partition de Wagner se prête parfaitement à cette lecture dionysiaque, le livret y prend une dimension qui relève plus de la tragédie antique, du mythe, que de la simple légende car le fatum, le destin, y pèse de tout son poids.
Les costumes de Peer Palmowski – qui signe également la scénographie – jouent avec élégance de ce même manichéisme primitif et relève un défi, qui n’était pas mince, celui de conserver une ligne esthétique alors que l’intégralité du casting porte des bottes de plastique !
Dans un tel contexte, le plateau vocal n’a pas d’autre choix que l’engagement physique. A cet égard, le couple formé par Martina Welschenbach et Almas Svilpa est remarquable. La soprano allemande – qui a fait partie de la troupe du Deutsche Oper de Berlin pendant 8 ans – propose une Senta loin de toute mièvrerie, habitée par une obsession qui la dévore toute entière. Dans l’univers violent qui compose son quotidien, elle n’est jamais soumise, sa volonté reste inébranlable. Le timbre est chatoyant, moiré, bien projeté, les aigus glorieux et le legato superbe. Elle domine clairement la distribution.
Le Hollandais lui donne la réplique avec une sobriété qui n’a d’égal que sa densité, les registres sont bellement unifiés, les forte déchirants. Alors que sa prestation dans Nabucco, à Genève, laissait dubitatif, en revanche, ici, il emporte l’adhésion par une émotion contenue qui compense quelques fragilités de justesse et de diction.
Le Daland de Patrick Simper pousse assez loin la caricature de l’avidité. Si l’artiste profite d’un beau médium, son vibrato est un peu ample et sa diction manque parfois de précision, alors que l’allemand est sa langue maternelle. Erik, l’amoureux éconduit souffre quant à lui d’aigus qui sentent l’effort, quasi aigres, tandis que l’on voudrait plus entendre le ténor équilibré et rayonnant de Yu Shao, impeccable, à l’exemple de Doris Lamprecht.
Beverly et Rebecca Blankenship sont des enfants de la balle familières des scènes lyriques car filles du ténor William Blankenship, décédé l’an passé. Il est regrettable que le duo ait privilégié les métaphores, les images séduisantes – notamment des tableaux arrêtés d’un bel esthétisme – au détriment d’une direction d’acteur ciselée qui aurait mené le spectacle nettement plus loin. La motivation des solistes comme des chœurs, semble trop souvent floue et extérieure. L’image finale elle-même n’est ni lisible ni conforme au livret annoncé dans le programme de salle.
Les choristes d’Angers-Nantes Opéra ne déméritent pas avec de très beaux ensembles sonores et charpentés même si les finales décalées se multiplient dans les pupitres masculins, alors que les aigus des sopranos manquent clairement de couverture.
Dans la fosse, en revanche, aucune imprécision : sous la direction passionnée de Rudolf Piehlmayer, l’Orchestre Symphonique de Bretagne est particulièrement en verve, jouissant d’une pâte sonore ductile, charnue qui joue des couleurs comme du volume avec souplesse.
Une production à découvrir à Nantes du 5 au 13 juin prochain et le 13 juin sur écrans dans 39 communes du Grand Ouest et sur France Musique.