« En voilà un drôle de sujet », s’étonne une attachée de presse que nous interpellons, avant d’ajouter « en même temps un vrai sujet sachant que les gourdes sont interdites ». Nous parlions il y a quelques semaines avec le sociologue Didier Eribon des nombreuses inégalités à l’opéra, notamment celles liées aux classes et aux revenus. Car, malgré un grand nombre de dispositifs éducatifs et sociaux, l’opéra continue de reposer sur un axiome d’expérience basée sur la formule « si vous êtes riche, vous serez bien assis, si vous êtes pauvre, vous serez tout en haut du théâtre, à droite. »
Il est cependant un sujet face auquel tous les contribuables sont égaux : le prix du verre d’eau acheté à l’entracte. Les opéras sont longs, les théâtres rarement équipés de fontaines à eau, les fontaines qui garnissent les places, elles, distribuent une eau saumâtre à laquelle il est déconseillé de s’abreuver et – dans bien des cas – les gourdes sont interdites dans les salles. La question de la bouteille d’eau est donc d’autant plus topique que s’engagera bientôt – selon nombre de spécialistes – un vaste bras de fer autour de cet élément très indispensable au bon fonctionnement de notre planète et à la survie de ses habitants.
Forumopera interroge plusieurs théâtres, de par le vaste monde, sur le prix de la petite bouteille d’eau vendue à l’entracte. Le jeu est simple : un mail envoyé le lundi, porteur de la question et une deadline fixée au jeudI. Certains théâtres ne répondent pas, comme l’Opéra-Ballet des Flandres, l’Opéra d’Etat de Vienne, le Metropolitan Opera de New York ou le Festival de Bayreuth. D’autres, charmants, bottent néanmoins en touche, comme cette maison du Sud de la France : « j’ai posé la question au Dir Com de l’Opéra qui n’en n’a aucune idée pour la bonne et simple raison que c’est un prestataire extérieur qui se charge du Bar. Il m’a dit hier qu’il allait se renseigner mais pas sure qu’il ait le temps d’avoir l’info dans le temps imparti. » On se croirait revenu au temps où Edouard Balladur ignorait le prix de la baguette de pain.
Et puis, il y a les bons élèves, ceux qui tiennent à souligner que la vente d’un verre d’eau, à l’opéra, s’accompagne d’une réflexion plus large : sur l’écologie, la sociologie et sur la valeur symbolique de l’eau. Ainsi, le Festival de Salzbourg nous répond : « Le Festival de Salzbourg est fier de vous annoncer que tous nos sites et maisons sont une zone sans bouteilles en plastique. Nous avons mis en œuvre cette idée en collaboration avec l’un de nos sponsors, l’entreprise BWT (Best water technology), basée en Autriche et agissant au niveau mondial. Sur tous les sites du festival, une bouteille d’eau en verre (0,375 l, pétillante et non pétillante) coûte € 4,-. En outre, nous aimerions vous informer que l’un des 17 sites du festival de Salzbourg en été est un espace en plein air. Il s’agit de la Domplatz (place de la cathédrale). C’est – depuis 1920 – le lieu traditionnel du drame « Jedermann » (« Everyman »). Dans un coin de cette place, de l’eau minérale est – grâce à notre sponsor BWT – disponible gratuitement directement à partir d’un distributeur d’eau. » Impressionnant.
Sans avoir reçu de réponse de la part du service de presse, on sait – par nos correspondants – que le Metropolitan Opéra de New York a installé des fontaines d’eau fraîche à tous les étages, avec des gobelets en carton conique pour que les spectateurs « ne puissent pas les réponser n’importe où ». Jean-Michel Pennetier, notre excellent collègue, ajoutant « sur le marbre des fontaines du Met, on lit In Memory Ezio Pinza. » Le Royal Opera House de Londres s’est également tourné vers les fontaines à eau, « bien que celle-ci n’y soit pas fraîche », ajoute monsieur Pennetier.
Certains théâtres proposent des formules d’hydratation hybride, comme l’Opéra de Nantes : « Au bar des Muses (dans le Hall du Théâtre Graslin) la bouteille de Vittel est vendue 3,5 € ; un verre de Sirop Monin (25 cl) à 2, 50 € mais nous avons mis également des fontaines à eau à disposition des spectateurs à divers niveaux du Théâtre Graslin. » Même dynamique à l’Opéra de Lille, toujours très vertueux : « L’Opéra de Lille dans sa démarche de développement durable initiée depuis 2016, a notamment progressivement supprimé les bouteilles en plastique. Depuis à l’entracte, les spectateurs peuvent moyennant 1€ obtenir un verre d’eau plate. » À l’Opéra National de Paris, en revanche, si la bouteille d’eau est vendue au prix de 4 €, on note que l’eau gazeuse vient d’Italie, ce qui peut poser question du point de vue de l’impact carbone.
Dans les maisons que nous avons interrogées, le prix d’une petite bouteille d’eau, indistinctement de sa volumétrie sera vendue entre 1 € et 4,5 € (Théâtre des Champs-Elysées). L’eau est un marqueur sociologique particulièrement sensible, mais – surtout – elle est le symbole de questionnements plus profonds dont certains théâtres sembles plus conscients que d’autres.
Prix de la petite bouteille d’eau dans les théâtres interrogés
(Impossible à ce stade connaître le volume de la petite bouteille d’eau et donc le prix objectif de l’eau dans chaque maison. Mais voici donc « le prix d’entrée pour se désaltérer.)
Lille, Opéra : 1 €
Avignon, Opéra : 2 €
Barcelone, Liceu : 2 €
Marseille, Opéra : 2 €
Nantes : entre 2,50 et 3,50 € + fontaine à eau
Liège, Opéra Royal : 3 €
Bruxelles, La Monnaie : 3 €
Amsterdam, Opéra National : 3 €
Toulouse, Théâtre du Capitole : 3 €
Toulon, Opéra : 3 €
Paris, Opéra Comique : 4 €
Paris, Opéra National : 4 €
Salzbourg, Festival : 4 €
Paris, Théâtre des Champs-Elysées : 4,50 €
Mis à jour le 16 novembre 2022