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Cinq questions à Paolo Bordogna

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5 questions
9 mars 2015

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Don Geronio, le mari bafoué du Turc en Italie, au Teatro Regio Torino à partir du 12 mars, suivi en mai par Don Magnifico (La cenerentola) à Washington ainsi qu’un récital chez Decca, devraient le prouver une nouvelle fois : Rossini, et plus largement les rôles bouffes du répertoire italien, vont comme un gant à Paolo Bordogna.

Vous chantez actuellement Dulcamara à l’Opéra de Marseille, mais vous avez aussi interprété Belcore.  Les tessitures sont-elles les mêmes ?

Effectivement  ce n’est pas la première fois que je chante deux rôles  à l’intérieur d’une même œuvre. C’est ainsi pour L’Elisir d’amore mais c’est aussi le cas pour Il barbiere di Siviglia où je chante aussi bien Figaro que Don Bartolo. Et aussi pour Don Pasquale, où j’interprète, outre le rôle-titre, le docteur  Malatesta. Et encore pour Il Turco in Italia où je peux être Selim ou Don Geronio… Je ne suis d’ailleurs ni le seul ni le premier, c’est une longue tradition pour les barytons du répertoire brillant, je pense par exemple à Sesto Bruscantini… J’ai commencé par des rôles de baryton brillant et il était évident dès le début que c’était ma voie. Mais le temps passe, la voix évolue, mûrit, et j’ai pu affronter des rôles de baryton-basse et de basse bouffe, tout en gardant à mon répertoire les rôles proprement baryton. Je le fais et j’y tiens pour une bonne hygiène vocale : le cantabile est toujours excellent pour entretenir les acquis.

Dans le cas de L’Elisir d’amore en particulier on a souvent pensé qu’il fallait confier Belcore à un baryton et  Dulcamara à une basse bouffe, à cause du cantabile de l’un et du chant sillabato de l’autre. Mais si on retourne à la partition, on découvre que Dulcamara tend à rester surtout sur le medium aigu tandis que pour Belcore il est souvent requis de chanter au centre et medium grave avec quelques montées dans l’aigu. ..Après avoir chanté souvent Belcore, j’ai fait mon premier Dulcamara il y a six ans, au Maggio Musicale Fiorentino, et dès le début j’ai cherché la plus grande fidélité au texte musical, pour éviter des effets à mes yeux faciles, qui pourraient faire tomber le personnage vers le « parlé ». Je crois qu’aujourd’hui le buffo doit avoir une vraie voix !

Comment avez-vous découvert la vôtre ?

J’ai commencé à chanter comme voix blanche dans un petit chœur de ma ville natale, puis pendant mes études secondaires j’ai chanté dans un chœur comme basse. C’est un apprentissage que je trouve important car l’étude de la polyphonie a beaucoup contribué à développer l’oreille, le sens de l’écoute du chanteur. Si bien que j’ai commencé à étudier le chant, surtout par curiosité, jusqu’à ce que je rencontre Roberto Coviello. S’il s’est retiré des scènes très jeune, on n’a pas oublié quel rossinien émérite il était. Il est devenu mon professeur et grâce à lui j’ai découvert ma vocation pour le répertoire brillant.

Récemment vous étiez Bartolo à l’Opéra de Paris et vous avez participé à plusieurs éditions du Festival de Pesaro. Que représente Rossini pour vous ?

Justement avec Roberto, je veux dire le Maître Coviello, mais il me traite depuis longtemps en ami, j’ai rencontré Rossini, et cela a été comme une illumination, ma voix semblait née pour les agilités et la rapidité du chant sillabato. La longueur du souffle, l’égalité des voyelles, le phrasé, l’uniformité des registres, le lié des passages, ce sont des règles de base exigées pour chanter Rossini, et non seulement lui, mais tant d’autres auteurs ! En outre le comique léger et abstrait de Rossini convient particulièrement à mon tempérament d’acteur…Je peux dire que ce fut vraiment une rencontre amoureuse ! Du reste, cet amour pour Rossini m’a conduit à faire beaucoup de musique de chambre, et je suis particulièrement heureux de commencer bientôt une série de récitals avec comme partenaire le grand musicien qu’est le Maître Bruno Canino. Ce pianiste exceptionnel aime, c’est bien connu, la musique de chambre de Rossini, et nous avons conçu ensemble un programme entièrement dédié au Cygne de Pesaro, qui devrait s’intituler « Une soirée chez Rossini », qui comprendra de nombreux inédits à la redécouverte desquels j’ai personnellement contribué.

Vous venez à la suite d’une génération de buffi italiens (Dara, Corbelli, Pratico), comment vous situez-vous par rapport à eux ?

Comme je l’ai déjà dit, une chose, peut-être LA chose essentielle pour moi est la fidélité au texte musical. Se mettre humblement face à la partition est déjà avoir accompli la moitié du travail. Le texte musical nous dit « la vérité » des auteurs, et souvent le plus difficile est de plier notre voix à leur volonté. Il est donc clair que cette humilité exige de l’artiste beaucoup, beaucoup de travail ! Pour ma part, je m’efforce de maintenir au plus haut la réputation du « buffo italiano » parce que je suis conscient du poids sur mes épaules d’une très haute tradition. Aussi  suis-je ému et fier  d’avoir récemment enregistré un disque consacré pour la première fois entièrement à l’Art du Buffo*, qui embrasse deux siècles de musique, de l’école napolitaine de Cimarosa à l’école moderne de Nino Rota, en passant par Rossini, Donizetti, Verdi, Mascagni et Puccini.

Plus tard, aimeriez-vous enseigner ?

J’ai déjà eu l’occasion de donner quelques courtes master class. Parfois dans un théâtre où je travaille un jeune chanteur me demande de l’écouter et de lui donner des conseils. Je le fais volontiers parce qu’expliquer à autrui ce que je pense du chant et de ses règles me confronte à moi-même, et cela m’aide car c’est très stimulant. Mais pour l’heure mon activité de chanteur  est si intense qu’il ne m’est pas possible d’enseigner régulièrement. Plus tard, sans doute. Mais comme dit Figaro : una (cosa) alla volta per carita !

 

*A paraître début mars chez Decca

 

 

 

 

 

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