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Cinq clés cinématographiques pour Così fan tutte

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16 juin 2016

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Après Dialogues des carmélites et Pelléas et Mélisande à Lyon, Christophe Honoré persiste et signe dans la mise en scène d’opéra avec Così fan tutte au festival d’Aix-en-Provence. Puisque la précédente production aixoise de cet opéra, en 2008, avait été confiée au cinéaste iranien Abbas Kiarostami, faut-il en conclure qu’un lien unit au septième art le troisième volet de la trilogie Mozart-Da Ponte ? Réponse en cinq clés cinématographiques, avec l’aide du volume que L’Avant-Scène Opéra vient de consacrer à cet opéra, troisième version après les numéros 16/17 de 1978 et 131/132 de 1995.

Plus fort que L’Esquive : Da Ponte avait-il lu Marivaux ?

En 2003, Abdellatif Kechiche transposait l’intrigue du Jeu de l’amour et du hasard parmi les ados d’une cité. Même s’il est évidemment impossible de prouver qu’il avait lu Marivaux, Da Ponte, lui, semble avoir transposé à Naples un scénario digne de l’auteur de La Double Inconstance. C’est du moins la théorie développée par Pauline Beaucé dans son article « Comédie, commedia : réutilisation des types théâtraux dans Così fan tutte ». C’est en effet grâce au dramaturge français  que les composantes de la commedia dell’arte évoluent « au service de la vérité des cœurs et d’une préciosité nouvelle ». Certes, entre Marivaux et Da Ponte, il y a eu Goldoni et ses Pescatrici, opéra de Gassmann (1771) où deux sœurs font également l’objet d’une expérience menée par leurs galants. En tout cas, la profondeur nouvellement acquise par des personnages longtemps réduits à des types sera formidablement exploitée par Mozart.

Plus fort qu’Amadeus : Salieri contre Mozart, ce n’est pas du pipeau

En 1984, Milos Forman, s’appuyant sur la pièce de Peter Shaffer, qui s’inspirait lui-même de Mozart et Salieri de Pouchkine, ranimait le mythe de l’antagonisme entre les deux compositeurs. Pure invention ? Pas si sûr, comme le rappelle l’article érudit de Bruce Alan Brown, « Genèse et création de Così fan tutte ». En 1789, Antonio Salieri commence à mettre en musique un livret que lui a fourni son ami Da Ponte, La scuola degli amanti (l’abbé Lorenzo lui avait déjà écrit La scuola dei gelosi en 1783). La preuve en est le manuscrit autographe sur lequel Salieri a composé deux terzettos du premier acte, « La mia Dorabella » et « È la fede della femmine ». Après quoi il renonça, sans doute parce qu’il était trop occupé par d’autres projets en cours (et non parce que « l’invention musicale en était indigne », comme persifla Constance Mozart en 1829). Antonio et Lorenzo s’étant brouillés, le poète n’eut aucun scrupule à aller proposer à Wolfgang le texte dont Salieri ne voulait plus. Wolfgang le rebaptisa Così fan tutte, titre qui n’eut jamais l’heur de plaire à Da Ponte. Le mystère s’épaissit lorsque, dans une lettre du 29 décembre 1789, Mozart invite les frères Haydn à une répétition de Così en leur promettant le récit des « cabales lancées par Salieri, qui néanmoins sont toutes tombées à l’eau ». Dommage qu’il ait préféré les raconter de vive voix plutôt que de les mettre par écrit…

Plus fort que Mulholland Drive : mais qui est qui ?

Avec Mulholland Drive (2001), David Lynch semait plus que jamais le trouble dans les esprits : la blonde et la brune – la biondina e la brunettina – semblaient échanger leurs identités, la frontière entre rêve et réalité était totalement poreuse. Avec Così, Mozart et Da Ponte pourraient bien avoir eux aussi joué sur le trouble entre la scène et la ville, puisque les deux chanteuses créatrices de Fiordiligi et Dorabella étaient prétendument sœurs (cela reste néanmoins à prouver), tandis que Despina (Dorothea Bussani) et Don Alfonso (Francesco Bussani) étaient en fait mari et femme. Bien plus troublante encore, la question de l’identité vocale des personnages : Francesco Benucci, créateur de Guglielmo, grand spécialiste des rôles de basse bouffe, avait sans doute la voix plus grave que  Bussani, ex-ténor devenu baryton. Chez les femmes, la Bussani avait créé Cherubino en 1786, autant dire qu’elle avait peu en commun avec les soubrettes pointues auxquelles on confia trop souvent Despina. Enfin, c’est surtout sur Fiordiligi et Dorabella que s’interrogent Marc Vignal dans son article sur les artistes de la première en janvier 1790 et Michel Noiray dans son guide d’écoute entièrement réécrit. Loin d’être soprano et mezzo, Adriana Ferrarese et Louise Villeneuve étaient toutes deux sopranos : la première, bien que piètre actrice, avait des facilités aux deux extrêmes de la tessiture, tandis que de la seconde on vantait la beauté et l’expressivité. Mozart lui a d’ailleurs écrit des airs virtuoses qui dépassent de loin les exigences de Dorabella.

Plus fort que Folies de Femmes : un opéra charcuté par la production

En 1922, Erich von Stroheim connut sa première grande déception en tant que réalisateur : Foolish Wives, censé durer 6 heures, fut ramené à guère plus de 2 par le producteur. Cela n’est pourtant rien en comparaison des avanies qu’allait subir Così fan tutte aussitôt après sa création. C’est le sujet du fascinant article de Pierre Michot, « Frivole, immoral et invraisemblable : les adaptations du XIXe siècle ». Tout commence par une traduction en allemand, pour la première reprise viennoise, en 1794. Et en 1814, puisque cette histoire d’amants déguisés que personne ne reconnaît est décidément trop invraisemblable, G.F. Treitschke (qui remanie la même année le livret de Fidelio) y ajoute un ingrédient magique : Die Zauberprobe fait de Don Alfonso un magicien et de Despina un esprit aérien qui lui obéit. Pour faire mieux passer la pilule, on imaginera par la suite que les deux soldats sont partis depuis de nombreuses années, ce qui rend l’inconstance de leurs maîtresses plus pardonnable. Ou bien on fera en sorte d’éviter que les couples se bouleversent : Guglielmo courtisera jusqu’au bout Fiordiligi, et Ferrando persuadera Dorabella de tromper Ferrando avec lui-même. Ou, comme Barbier et Carré, on invente carrément un autre livret, d’après Peines d’amour perdues de Shakespeare.

Plus fort qu’Eyes Wide Shut : du bon usage de l’échangisme  

Adapté d’une nouvelle d’Arthur Schnitzler, qui s’y connaissait en confusion des sentiments, le film de Stanley Kubrick (1999) met l’échangisme au centre de son scénario. De fait, lorsque l’on imagine que les deux sœurs ne sont absolument pas dupes, mais qu’au contraire chacune se livre sciemment à la découverte des charmes du partenaire de l’autre, on se rapproche de ce genre de petit jeu. Comme le montre l’article « Bécasses, fines mouches ou victimes ? », également signé Pierre Michot, c’est l’option défendue par les Herrmann dans la reprise salzbourgeoise de leur mise en scène historique créée à La Monnaie en 1984, et peut-être également dans la production conçue par Peter Sellars pour le PepsiCo Summerfare en 1987. D’où, au final du deuxième acte, une vision particulièrement désabusée de la très improbable réconciliation. Post coïtum libertinum, animal mozartianum triste.

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