Après quelques années d’un partenariat fructueux avec la pianiste Suzanne Manoff (on se souvient notamment des disques Evocation, Après un rêve ou Chimère dans lesquels on appréciait la douce complicité de ces deux âmes sensibles) c’est une nouvelle collaboration que la soprano Sandrine Piau entame ici avec le pianiste David Kadouch qui mène, depuis une quinzaine d’années, une très brillante carrière de concertiste.
Pour une première incursion dans le monde du Lied (ou de la mélodie) on peut certainement parler d’une grande réussite ; le pianiste semble familier tant de la forme que du répertoire et apporte à l’aventure sa personnalité très forte, parfaitement adaptée à chaque compositeur, son lyrisme généreux et un bienveillant respect pour sa partenaire, dont il se pourrait bien qu’elle soit aussi un peu, pour la circonstance, son initiatrice.
Les interventions du pianiste sont particulièrement bienvenues, sa présence est plus marquée que ce qu’on entend souvent en pareilles circonstances, de sorte qu’un véritable travail de musique de chambre s’établit entre les deux musiciens, pour le plus grand bénéfice de l’auditeur.
Malgré la (presque) génération qui les sépare, les deux protagonistes trouvent d’emblée le ton d’une véritable complicité tout en gardant intacte la part d’expressivité de chacun et sa contribution à l’élaboration collective.
Le choix du répertoire est évidemment très subjectif, arbitraire, mélangeant les styles et les compositeurs, avec cependant deux parties distinctes, l’une germanique et l’autre française. Bien sûr, des ponts s’établissent entre ces deux univers, par le biais des textes, des sujets traités, que la composition du programme met subtilement en lumière. Ainsi, aux pages peu courues de Clara Schumann répondent celles encore plus rares de Lili Boulanger, deux artistes qui méritent largement le regain de notoriété que la vague féministe leur procure ces dernières années.
La difficulté, lorsqu’on fait intervenir des univers poétiques très différents, des esthétiques musicales et des référents culturels parfois opposés, c’est de parvenir à maintenir une certaine unité, une certaine tension d’une page à l’autre, en évitant les ruptures qui feraient penser à un collage. Seul le passage de Schubert à Duparc semble un peu périlleux, même si les deux univers sont parfaitement maîtrisés. Pour le reste, la cohérence de l’ensemble est assurée, l’écoute est fluide et ne suscite aucune lassitude. Liszt, le plus européen des compositeurs du XIXe siècle, entame et clôt le récital, lui donnant presque le caractère d’un cycle.
On retrouve avec plaisir la voix très personnelle et délicieuse de Sandrine Piau, son charme, qui naît d’une certaine fragilité mêlée à une technique très maîtrisée, qui ont fait sa réputation et qu’on reconnaît facilement à la première écoute. Certains sons ne sont pas exempts d’une certaine dureté, qu’elle utilise au sein d’un répertoire expressif varié. La voix a peut-être un peu perdu en souplesse ce que la musicienne a gagné en maturité, en intensité dramatique et en très fine connaissance d’un répertoire, que visiblement elle adore et qui lui va si bien !