Si l’œuvre – le Stabat Mater de Vivaldi – est loin d’être une rareté au disque, cette nouvelle parution est singulière à plus d’un titre : d’un côté un CD d’une brièveté inhabituelle, les 18 minutes que dure la seule œuvre gravée, le fameux Stabat Mater, un « single » en quelque sorte du contre-ténor star, de l’autre côté un DVD à l’étrangeté recherchée et revendiquée.
On s’attend à un making of avec photos et vidéos glamour, et on tombe sur un court-métrage, une œuvre de cinéma, dont la bande originale est bien sûr constituée de la pièce enregistrée sur le CD mais pas que…On ne divulgâchera pas la surprise, ou plutôt les surprises de cet OMNI.
Ames sensibles s’abstenir
La vision de ce DVD laisse une impression de malaise, surtout dans le contexte du conflit en cours en Ukraine. En tout cas, elle donne une toute autre image du chanteur que celle que le marketing complaisant de ses premiers disques avait pu laisser. Le film de Sebastian Panczyk est censé traduire ce que le chanteur polonais pense de ce Stabat Mater : auditeurs dépressifs s’abstenir !
Qu’en est-il maintenant de l’interprétation de ce qui est devenu un tube de la musique vocale de Vivaldi ?
Rappelons d’abord que ce Stabat Mater est l’œuvre vocale la plus ancienne que nous connaissions de Vivaldi. Composée probablement en 1711 à la demande de la paroisse de Santa Maria della Pace de Brescia, la ville natale du père d’Antonio, Giovanni Battista, lui-même excellent violoniste, créée le 17 mars 1812 dans cette église à l’occasion de la fête des Sept douleurs de la Vierge, l’œuvre, comme la plupart des compositions de Vivaldi, tombera dans l’oubli, jusqu’à sa « résurrection » par Alfredo Casella, en septembre 1939, à Sienne, dans le cadre d’une Settimana vivaldiana.
Dolorisme expressionniste
J’avais assisté début juillet 2019 à un concert du jeune Polonais dans une petite église surchauffée du Val d’Oise, où ne figurait aucun tube du répertoire baroque, à l’exception notable de ce Stabat Mater de Vivaldi, et j’avais noté: « Le timbre, légèrement voilé, est séduisant, et pourtant une certaine monotonie s’installe, comme si le chanteur semblait plus soucieux de se montrer à son avantage que de restituer les affects des partitions qu’il interprète. Sentiment particulièrement évident dans le Stabat Mater de Vivaldi chanté recto tono. Quand on a comme moi dans l’oreille, au choix, Aafje Heinis, Nathalie Stutzmann, Sara Mingardo ou Gérard Lesne, le compte n’y est pas. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet enregistrement réalisé à la fin de l’année 2020 à Cracovie, avec quelques excellents amis instrumentistes conduits par Jan Tomasz Adamus, est aux antipodes de ce que j’ai entendu à l’été 2019. Certains pourraient même taxer Orliński de maniérisme, trouver excessif le sort fait à chaque mot, chaque strophe, au risque même de déformer la voix. On avoue aimer ce parti pris, à consommer avec modération sans doute, mais diablement intelligent et réussi. Josef Jakub Orlinski dit, dans toutes ses interviews, dans le livret du CD/DVD, que cette œuvre le hante depuis plus d’une dizaine d’années. Il en donne une vision noire, doloriste, sans espoir, qui peut certes déplaire aux tenants d’une ligne lisse et contemplative alla Bowman, Scholl ou Daniels. Une version clivante, qui est bien dans la manière et dans les choix d’un chanteur que j’ai eu la chance de rencontrer longuement l’été dernier et qui, sans nier les contraintes finalement légères du marketing et s’amusant plutôt du ramdam médiatique qui l’entoure, m’a semblé avoir une vision extraordinairement saine et humble de son métier et de son art.
On ne manquera pas de reprocher à ce CD/DVD d’être aussi court et d’être vendu au prix d’un CD « normal », on se doute que l’objet pourra plaire ou déplaire, choquer ou déranger. A coup sûr, il ne laissera pas indifférent.