Après un Or du Rhin qui avait franchement convaincu, voici La Walkyrie qui poursuit le Ring enregistré par Marek Janowski dans le cadre de son ambitieux projet Wagner chez Pentatone Classics. On retrouve ici la battue claire et allégée de Janowski, à la tête des forces toujours aussi disciplinées de l’Orchestre symphonique de la radio de Berlin, véritable et salutaire fil conducteur de cette intégrale.
Dans la distribution, rien d’indigne, tant s’en faut. Robert Dean Smith est un Siegmund probe et appliqué, plus convaincant que bien d’autres, sans défaut criant, mais sans génie et un peu gris de timbre. Sa jumelle est ici incarnée par Melanie Diener chaleureuse, généreuse de ligne, mais bien prudente dans l’incarnation. Le Hunding de Timo Riihonen est juvénile de timbre, mais manque de noirceur. Son interprétation tout d’un bloc manque de sous-entendus (comprend-il ce qu’il chante lorsqu’il jette à Sieglinde « harre mein’ zur Ruh’ » ?). En Brünnhilde, Petra Lang, habituée des scènes wagnériennes, campe une vierge guerrière vaillante, autrement plus saine vocalement que Linda Watson et Katarina Dalayman dans le Ring viennois de Christian Thieleman. Quant au Wotan de Tomasz Konieczny, sa prestation appelle les mêmes remarques que dans L’Or du Rhin : la voix est riche, prenante, superbement timbrée, mais rien à faire : elle reste une voix d’Alberich plus que de Wotan (histoire d’articulation, de projection des voyelles…). Son entrée au II fait croire, l’espace d’un instant, que Wotan s’est (de nouveau) égaré au Nibelheim… Heureusement, les Adieux parviennent à émouvoir, grâce à un legato parfaitement maîtrisé. La Fricka d’Iris Vermillion s’en sort très bien, et sa prestation au II est franchement convaincante : investie, véhémente, abrupte dans le ton, et d’un timbre inentamé : on aime beaucoup ! On prendra garde d’oublier l’ensemble des huit Walkyries, remarquable et à la mise en place irréprochable.
Une direction cohérente et théatrale, non dépourvue d’idées (comme cet accelerando-ritardando dans les toutes dernières mesures du II)… Une distribution sans faille, autrement plus convaincante, par exemple, que celle réunie à Vienne par Christian Thieleman… On tient là, en apparence, les ingrédients d’une grande Walkyrie. D’où vient, dès lors que l’on peine à être pris par cet enregistrement ? C’est qu’il y manque quelque chose d’imperceptible et pourtant essentiel : cette étincelle mystérieuse qui fait s’enflammer orchestre et chanteurs pour faire vivre le théâtre, et qui réussit à captiver l’auditeur. Il y a de fort belles choses dans cet enregistrement, et pourtant, il ne décolle pas, tel un avion cloué au sol faute de carburant. Et l’on se souvient alors que ce disque est le reflet d’une version de concert, enregistrée d’un trait, sans retouche. Voilà sans doute ce qu’il manque : le souffle du théâtre qui, pour des raisons que l’on ignore, ce soir là faisait défaut. Ce souffle qui transforme des chanteurs en incarnations, et d’un orchestre, parvient à déchaîner les éléments. On n’en tiendra certainement pas rigueur aux musiciens – chef, instrumentistes, solistes. Le parti pris audacieux de leur aventure wagnérienne les exposait fatalement à ce genre de baisse de tension. A aucun moment, leur prestation n’est indigne, ou seulement médiocre. Pour cette raison, et après avoir hésité, on leur attribue bien volontiers un troisième cœur : celui de la constance et de l’honnêteté.