Piotr Beczala nous vient du sud de la Pologne. Il a fait études à Katowice, et l’un de ses professeurs fut la célèbre Sena Jurinac. Ténor lyrique, il a débuté auprès du Landestheater de Linz, puis en 1997 à l’Opéra de Zurich, chantant Verdi, Donizetti, Mozart, Tchaïkovsky, Johann Strauss, Lehár…
Il nous propose ici un récital d’opéras de l’Est de l’Europe : le titre global de Slavic Opera Arias est commode mais l’on sent une distinction entre ces morceaux, une différence de style, de « couleur du temps ». Ainsi, les généreux élans de violons de la Légende baltique de Nowowiejski évoquent à l’évidence la « Giovane Scuola », comme la curieusement « leoncavallienne » romance d’Aleko avec accompagnement de harpe. Héritiers du Romantisme, les deux morceaux tirés d‘Eugène Onéguine (où le ténor est efficacement secondé par le contralto Katarzyna Bak) forment un îlot plus familier. On respire un air ancien avec les musiques de Moniuszko. Certains morceaux, comme la sympathique valse du Rafael de Arensky, sont franchement inconnus et mériteraient d’être exécutés plus souvent1.
Piotr Beczala aborde tous ces morceaux avec un égal talent, d’une voix chaleureuse et souple, qui fait fortement penser à l’école italienne par ses intonations et l’utilisation typique de coups de glotte à des fins d’expressivité. Il est vraiment à l’aise dans ces morceaux et communique à l’auditeur son bonheur de les chanter. A cette pâte sonore remarquablement équilibrée, s’ajoutent d’appréciables qualités telles ces aigus radieux, car pleins et chaleureux (couronnant la valse de Rafael), ou ces autres aigus, piano et timbrés (dans la délicate romance de Sadko ou la douloureuse cantilène de Iolanta). On apprécie d’autre part une efficace accentuation des récitatifs pour les opéras plus anciens qui en comportent, comme Strasny Dwór : Le Manoir hanté et Halka de Moniuszko.
Ainsi, l’interprétation de Piotr Beczala se caracterise par des associations souvent antinomiques chez d’autres chanteurs : passion mais délicatesse, chaleur mais élégance, soin porté à la ligne de chant mais expression vibrante.
Avec le voluptueux Orchestre symphonique de la Radio, c’est un écrin de choix qui est offert à cette belle voix. Le jeune chef Łukasz Borowicz, son Directeur artistique depuis 2007, le fait tour à tour sonner ou susurrer comme demandé par les partitions. Aussi bien symphoniste que chef lyrique, Łukasz Borowicz a même abordé la Lodoïska de Luigi Cherubini lors du Festival de Pâques Ludwig van Beethoven, qu’il va retrouver dans quelques semaines, pour les splendeurs du romantisme italien avec la Maria Padilla de Donizetti.
Un fort beau regard sur l’opéra slave.
Yonel Buldrini
(1) L’indication de « Symphonic version » pour la délicate romance de Sadko répétée en bonus final, ne doit pas induire en erreur. Il ne s’agit pas d’une transposition pour orchestre du morceau, mais curieusement d’une version légèrement différente par son orchestration. L’introduction est toujours confiée aux bois et à la flûte, mais le motif est ensuite suggéré par les violons, qui, par la suite, demeurent plus présents. On perd en intimité recueillie ce qu’on gagne en exhubérance chaleureuse.