Un avertissement nous prévient que ce document « était initialement destiné à la seule utilisation interne ; en publiant l’enregistrement sous cette forme, les organisateurs du Festival répondent à la demande populaire et ce faisant rendent les exécutions musicales des répétitions accessibles à un public plus vaste. » Voilà expliquée l’absence de sous-titres et peut-être une prise de son avantageant l’orchestre, reléguant un peu les chanteurs au second plan. Cette tendance s’accepte par la beauté de l’orchestration d’un pourtant débutant mais nommé Richard Strauss, et par la belle sonorité de l’orchestre du Festival, aux cuivres chaleureux comme les souhaitait Verdi (par ailleurs curieusement dédicataire de l’œuvre). La beauté de l’orchestre de Strauss, disions-nous, fait accepter sa prédominance mais le fait est rehaussé par un élément d’importance : la lecture attentive et fort belle de Gustav Kuhn qui tout simplement fait vivre la musique. On le voit — et l’entend — attentif à laisser éclore la poésie des moments intimistes dans lesquels le compositeur réduit considérablement les instruments, ou maîtrisant le lancement des moments-fleuves, autant que les déchaînements de la masse orchestrale qui emporte le drame sur ses ailes puissantes. Il faut dire que le Maestro doit particulièrement affectionner l’œuvre, la dirigeant plusieurs fois et assurant même sa création en Italie ! (au Teatro Bellini de Catane en 2005).
En Guntram, Gianluca Zampieri trompe son monde tant, malgré son nom, il se fond dans le ténor germanique : timbre clair mais solide, prononciation sans accent. Il assume sans fatigue ce rôle lourd aux écarts difficiles, maîtrisant le chant en force comme les moments plus nuancés, de poésie ou de doute du personnage. On apprécie le beau timbre corsé de Elena Comotti d’Adda qui se plie également avec honneur aux courbes en force du chant de Richard Strauss.
La basse sombre et solide de Thomas Gazheli fait un pendant impressionnant au ménestrel ami de Guntram, tandis que le baryton Andrea Martin campe un Vieux Duc à la présence certaine. Dans un rôle un peu en retrait, Raphael Sigling, de son timbre de ténor plus aigu et froid, personnifie efficacement le tyran qui ne veut rien entendre, les autres solistes étant à la hauteur des valeureux chanteurs des parties principales.
La présentation en version semi-scénique ne nuit pas à l’œuvre, du reste pratiquement toujours donnée en concert lors de ses rares reprises. Alors que l’orchestre occupe le fond, les chanteurs évoluent sur une scène disposant de plusieurs niveaux. Les costumes sont contemporains avec ce qu’il faut de recherche (et de couleur locale ! le Vieux Duc paraissant au premier acte avec veste et chapeau de cet inimitable vert tyrolien ). La gestuelle et les attitudes se situent dans la convention du théâtre d’opéra, simplement évocatrice : Gustav Kuhn qui règle la « semi-mise en scène » n’ayant d’autre souci que de servir l’oeuvre. C’est essentiel pour le spectateur, le livret ne semblant pas repérable sur Internet ; mais avec un résumé de l’intrigue sur les genoux, on peut facilement suivre action et musique, d’autant que chef et artistes donnent une lecture musicale enthousiaste et investie, on ne se lasse pas de le dire.
Véritable « maestro concertatore », selon l’expression consacrée et encore en usage lors des retransmissions de la R.A.I., Gustav Kuhn insuffle en effet une tendresse et une chaleur remarquables, comme s’il se souvenait ou était imprégné des raretés donizettiennes et verdiennes qu’il a enflammées de son art alliant si bien l’attention à la poésie et l’expression dramatique. C’est être au service du compositeur, de la Musique, et le Maestro mérite en cela un hommage particulier et le souhait de le voir —ou l’entendre !— servir encore nombre d’opéras…
Yonel Buldrini