Présent sur les scènes depuis une bonne vingtaine d’années, Fabio Armiliato n’est pas vraiment une découverte. A l’heure des superstars hypermédiatisées, c’est par son travail et son intégrité que ce ténor est parvenu à s’imposer progressivement sur les scènes les plus prestigieuses. Corrigeant au fil des années l’impétuosité de sa jeunesse, il propose aujourd’hui un chant bien maîtrisé, sans usure notable malgré 20 années de carrière bien remplies, en particulier au niveau de la maîtrise du vibrato. Doté d’une belle quinte aigue (même si le contre-ut semble vraiment la limite de l’ambitus), Fabio Armiliato a su, au fil du temps, se construire une voix proche du lyrico spinto. Ne disposant pas du volume vocal fracassant de certains collègues mieux dotés, le chanteur a su aussi éviter de forcer pour garder ses moyens intacts. Aujourd’hui, il se révèle particulièrement à l’aise dans Puccini (cf Tosca) ou les véristes, voire dans certains Verdi comme Radamès (Aïda)
Mais les qualités à la scène ne sont pas nécessairement celles qui font les bons disques. Pour ceux qui auront entendu Armiliato à l’opéra, une première remarque s’impose : la captation ne rend pas vraiment justice au timbre de celui-ci. L’enregistrement fait ressortir un placement un peu nasal dans le medium qui fait songer au jeune Placido Domingo à de nombreux moments. A la scène, les sons sont moins couverts, plus libres, le timbre plus personnel et la dynamique est davantage étendue. Ceci étant, on retrouve bien ici les qualités propres du chanteur : un beau legato, une absence de vulgarité dans des airs où d’autres n’hésitent pas à sangloter de la plus écœurante façon. Pas de piani ou de mezzavoce détimbrés, point de forte hurlés : la maîtrise du souffle permet au contraire au chanteur d’offrir une palette complète, sans effort, avec justesse et musicalité. Seul regret, un timbre un peu passe-partout.
Le programme balaie la quasi-totalité des rôles de ténor puccinien (il manque La Rondine). En premier lieu, on regrettera le choix de l’ordre des morceaux qui aurait pu faire alterner airs célèbres et scènes moins connues afin de rendre l’audition plus variée. L’ennui pouvait en effet guetter un tel programme. Fort heureusement, Armiliato n’offre pas une interprétation monochrome et réussit au contraire à rendre justice à chacun des personnages qu’il interprète. C’est particulièrement frappant dans les divers extraits de Manon Lescaut où il sait traduire la progression dramatique du personnage de Des Grieux au fil des actes. De même, on appréciera un Gianni Schicchi enjoué et nullement vériste. Pour Bohème ou Turandot en revanche, Armiliato ne peut pas grand-chose face au souvenir du timbre fabuleux d’un Pavarotti.
A la tête de l’Orchestre des Arènes de Vérone, Marco Boemi obtient de belles sonorités et une pâte orchestrale très fluide. Mais c’est malheureusement au détriment de la tension dramatique ; si la direction peut convenir dans une partie des morceaux (« Non piangere Liu » de Turandot par exemple), l’absence de théâtralité est particulièrement évidente dans Tabarro ou les derniers airs de Manon Lescaut ; une mollesse déjà soulignée à l’occasion de la précédente gravure d’Armiliato en compagnie de son épouse Daniela Dessi (cf notre critique).
Au global, un beau récital qui, s’il ne fait oublier les gloires du passé, nous permet de découvrir un beau ténor dans la plénitude de ses moyens.
Jean-Marcel Humbert