Dans le livret d’accompagnement, les concepteurs de ce disque justifient leur démarche, conscients qu’elle en a peut-être besoin. « Bien qu’au cours des dernières décennies, l’écriture subtile et raffinée de Purcell ait connu plus de succès auprès des voix aiguës jusqu’à devenir le bastion des contre-ténors, nous avons ici opté pour un dialogue peu habituel entre baryton et ténor ». Et il est vrai que, depuis Alfred Deller avec son fils Mark jusqu’à, plus récemment, Andreas Scholl ou Philippe Jaroussky, les airs et duos de Purcell semblent avoir surtout marqué les mémoires dans des interprétations confiées à des contre-ténors. Cela ne signifie pourtant pas que ce soit la seule option valide : des duos féminins s’y sont également essayés, et l’on peut imaginer toutes sortes de configurations, comme celle que propose le présent CD : baryton et ténor. Et pour faire bonne mesure, les deux chanteurs s’accordent aussi le droit d’interpréter des airs normalement réservés à des femmes, comme le célèbre « Let me weep ». Autre proposition intéressante, les airs étant tirés des deux volumes de The Orpheus Britannicus, ils ne sont pas chantés comme des fragments de grands spectacles (Fairy Queen, Dioclesian, Indian Queen, Pausanias ou Don Quixote, comme ne le précise pas la plaquette), mais bien comme des morceaux destinés au divertissement intime d’une honnête assemblée. Le choix d’un petit ensemble d’instruments qui se situe à mi-chemin entre le minimalisme dellérien (une simple guitare) et les orchestres plus fournis qui accompagnaient tous ces airs dans les semi-opéras pour lesquels ils furent écrits. Une version chambriste, en somme, qui s’inspire du texte même des airs pour choisir son instrumentarium : théorbe anglais, lyra-viol, guitare, harpe triple, virginal, flûtes de différentes tailles. Le but suprême était de « proposer des pistes d’interprétation que nous pensons fidèles à l’idiome sonore anglais de la fin du XVIIe siècle ». De fait, le résultat n’est pas inintéressant, avec des sonorités souvent plus grêles ou plus champêtres qu’à l’accoutumée.
C’est plutôt sur le plan vocal que le bât blesse un peu. Maître d’œuvre de l’opération et véritable homme orchestre, Nicolas Achten chante « aussi », et possède une voix de baryton dont on apprécie la souplesse et la qualité de l’élocution, mais qui recourt trop souvent au chuchotement et manque un peu de couleurs pour toujours communiquer toute l’émotion qu’on attend légitimement dans certaines pièces archiconnues. Cela fonctionne pour « O Solitude », un peu moins pour « Music for a while », et un timbre plus chaleureux aurait sans doute mieux fait l’affaire dans un véritable air d’opéra aux affects aussi affirmés que « The Plaint ». Moins minimaliste dans son approche, Reinoud van Mechelen, qui prit en 2005 ses premiers cours de chant auprès de Nicolas Achten, et qui fit récemment partie du Jardin des Voix de William Christie, offre un timbre suave de haute-contre à la française qui fait merveille dans ce répertoire. Ses prestations caressent davantage l’oreille que celles de son « maître » à peine plus âgé que lui. Même si l’alliage ne saurait dégager la même fascination que le mariage de timbres aigus, leurs voix se marient fort bien, comme pour « Sound the trumpet », duo pour contreténors tiré de Come ye Sons of Art, le guilleret « How happy are we » ou le plus élégiaque « In vain the am’rous flute ».