Barber (1910-1981), compositeur américain moderne ? Bien au contraire ! Tourné vers les maîtres du passé, il fut souvent jugé conventionnel. Refusant une certaine modernité, Barber refusait aussi tout caractère spécifiquement américain, et cela lui fut reproché par ses compatriotes. Malgré ce « conservatisme incorruptible » (p. 408), cet « académisme séduisant » qu’on lui reprocha parfois, il se plaça d’emblée sous le signe de la musique vocale, et sa carrière se fit et se défit autour de ses deux opéras, même s’il est aujourd’hui surtout connu pour son incontournable Adagio pour cordes. Pierre Brévignon, grand avocat de la cause – il préside l’association Capricorn, à qui rien de ce qui est barbérien n’est étranger – semblait tout désigné pour mieux faire connaître au public francophone le père de Vanessa (1958) et d’Antony and Cleopatra (1966).
Après avoir un temps envisagé de se consacrer à la carrière de chanteur, le jeune Samuel opta bientôt pour la composition. Et son premier coup d’éclat fut la mise en musique du poème de Matthew Arnold Dover Beach, une pièce pour baryton – ou mezzo – créée en 1932. On doit à Barber quantité de mélodies, dont se détache notamment Knoxville, Summer 1915, bientôt suivi par diverses cantates et surtout par deux opéras. Maria Callas aurait pu, Sena Jurinac aurait dû créer Vanessa, mais l’œuvre fut finalement défendue au Met par Eleanor Steber, plutôt bien accueillie aux Etats-Unis (elle valut au compositeur le premier de ses deux Prix Pulitzer), beaucoup moins bien reçue en Europe, où elle ne s’est jamais vraiment imposée.
En lisant les pages que Pierre Brévignon consacre à Antony and Cleopatra, on se dit qu’il arriva à Barber un peu à ce que connut Britten lors de la création de Gloriana : dans les deux cas, une œuvre de commande, un contexte prestigieux, et finalement un flop monumental, à la différence près que l’Anglais sut rebondir, alors que l’Américain ne se releva jamais de cet échec cuisant. Le cœur du problème semble se trouver dans l’incompatibilité entre le péplum grandiose voulu par Zeffirelli et l’intimisme auquel aspirait le compositeur, dans la précipitation liée à l’inauguration du Lincoln Center et dans le caractère souvent obscur du texte shakespearien pour le public ultra-mondain de la première, le 16 septembre 1966.
Autre lien de Barber avec l’opéra, sa longue liaison avec Gian Carlo Menotti, ici évoquée avec délicatesse et discrétion : jalousie lors des premiers succès de l’Italien, ménage à trois avec le jeune poète Robert Horan, liaisons et ruptures, succession d’amis-amants… Ce volume est certes une biographie, mais musicale avant tout, et on n’y trouvera pas de secrets d’alcôve. Ses 505 pages incluent une « Petite discothèque barbérienne », un catalogue des œuvres, un index et une bibliographie indicative, sans oublier un CD d’enregistrements historiques, dont Dover Beach par le compositeur lui-même. Pierre Brévignon a interviewé des chanteurs qui ont particulièrement défendu Barber au disque (Gerald Finley, Roberta Alexander, Barbara Hendricks…) mais aussi ceux qui ont eu le privilège de créer ses œuvres, comme Martina Arroyo, la première à avoir interprété Andromache’s Farewell, Tom Krause, créateur de la cantate The Lovers, ou Fischer-Dieskau, pour qui furent conçues les 3 Songs, op. 45, dernier cycle de mélodies du compositeur.
Ce livre se lit fort agréablement, et les nombreuses analyses musicales n’y rebutent pas le lecteur non-musicologue. Tout juste signalera-t-on quelques anglicismes, dus sans doute à une fréquentation plus que régulière des textes anglo-saxons (« performances » pour « interprétations »…). Page 43, un détail surprend : s’il a pu assister aux spectacles des Ballets Russes lors de son séjour à Paris au printemps 1928, Barber n’y a sûrement pas vu danser Nijinsky, devenu schizophrène et retiré en Suisse depuis 1919.