On ne saurait trop recommander la patience à l’auditeur qui découvre le nouveau CD de Christian Gerhaher : si la première plage peut surprendre, inquièter, voire irriter par son caractère quasi parlé, ses R roulés et S sifflants (tout comme le deuxième air de Tannhäuser, en avant-dernière position), le baryton allemand chante plus qu’il ne parle dans tout le reste du disque, et livre une fois encore un programme qui témoigne de sa curiosité en matière de répertoire et de sa suprême intelligence d’interprète. Ces « airs romantiques » nous entraînent, sinon en terres inconnues, du moins dans des domaines bien trop peu fréquentés, qu’on ne demande qu’à explorer avec un guide aussi habile et expérimenté. On ne trouvera ici aucun inédit au disque, mais d’authentiques raretés, qui ont rarement été servies par des chanteurs de premier plan. A ce panorama de l’opéra romantique allemand ne manque réellement que Louis Spohr, mais il est permis d’espérer que Christian Gehraher s’emploiera une autre fois à combler cette lacune.
Si les opéras de Schubert ont peu de chances de s’imposer dans les maisons d’opéra, malgré les tentatives isolées dont a surtout bénéficié Fierrabras, Der Graf von Gleichen est d’autant plus une rareté que le compositeur l’avait laissé inachevé et qu’il a fallu attendre 1997 pour en voir monter une version achevée de nos jours. Créé à titre posthume en 1854, Alfonso und Estrella est en revanche de ceux qui ont suscité plusieurs productions ces dernières années, en terres germaniques et en Italie, comme en témoignent les deux DVD disponibles, captations réalisées à Vienne en 1997 (Naxos) et à Cagliari en 2004 (Dynamic). Gerhaher en retient deux airs de Froila : un « Sei mir gegrüßt » d’abord très serein mais qui rejoint bientôt, par son enthousiasme croissant, l’entrée d’Elizabeth au deuxième acte de Tannhäuser, dont il partage les premiers mots ; quant à la légende « Der Jäger ruthe hingegossen », elle ressemble moins à un air d’opéra qu’à un lied, domaine où Christian Gerhaher s’est depuis longtemps imposé. On pourrait d’ailleurs en dire autant de la romance à l’étoile de Wolfram.
Otto Nicolai n’a pas écrit que Die lustigen Weiber von Windsor, et l’on se réjouit d’entendre ici un extrait de l’œuvre que lui avait inspiré la pièce française Le Proscrit (1839), dont il avait d’abord tiré un opéra italien, Il Proscritto (1841), traduit et révisé pour devenir Die Heimkehr des Verbannten (1844). L’air d’Edmund ne dépare nullement ce bel ensemble, et témoigne d’un réel savoir-faire auquel seul fait défaut un supplément d’expressivité. Malgré tout son art, le baryton ne peut transformer une page bien écrite en moment fort. La Genoveva de Schumann est l’œuvre la plus tardive (1850) du programme, et l’air de retenu ici est d’un dramatisme qui dément l’idée d’un Schumann inapte à l’opéra ; les productions récentes ont d’ailleurs montré que Genoveva tenait parfaitement la scène. Le passage du troisième acte, qui fait dialoguer le mari de l’héroïne avec le traître Golo (le ténor Maximilian Schmitt ne joue ici que les utilités, comme dans Nicolai ou Schubert), permet à Gerhaher de déployer toute sa palette expressive, de l’enthousiasme à la colère en passant par l’inquiétude. De Weber, on entend en fin de parcours l’air de Lysiart, le « méchant » d’Euryanthe (1823) ; devant la vigueur et la variété de cette musique, magnifiée par un interprète de choix, on s’étonne une fois de plus que le deuxième opéra de Weber soit le moins joué des trois qu’il composa. Puisse Christian Gerhaher faire évoluer les mentalités sur ce point !
Sur Qobuz :
Romantische Arien | Compositeurs Divers par Christian Gerhaher