Avant même d’en donner des représentations scéniques de part et d’autre de l’Atlantique (voir compte rendu), l’Opera Lafayette Orchestra avait gravé Le Roi et le fermier, poursuivant ainsi résolument son exploration de l’opéra-comique français du milieu du XVIIIe siècle, qui nous a valu une dizaine d’enregistrements d’œuvres de Grétry, Philidor et déjà Monsigny, avec Le Déserteur en 2010. Il est bon de pouvoir entendre cette musique à laquelle peu d’autres ensembles s’intéressent. Certes, le livret n’est pas d’une originalité folle, malgré un titre qui laisse espérer un avant-goût de la lutte des classes, mais débarrassé de ses dialogues parlés qui diluaient fortement l’attention du spectateur, Le Roi et le fermier suscite davantage l’intérêt du mélomane. Avec quelques décennies d’avance, l’ouverture semble préfigurer le modèle gluckiste, et l’ariette « Ce que je dis est la vérité même » annonce la noblesse d’une héroïne comme Alceste. Loin des grandeurs de la tragédie lyrique alors déjà sur le déclin, Monsigny s’inscrit dans le courant de la Sensibilité ; sur un texte de Sedaine qui imite le naturel du langage parlé, il compose une partition à l’inspiration mélodique vigoureuse, aux carrures franches parfois inspirée par la musique populaire. On y trouve notamment un fracas de tempête à laquelle se mêlent les cuivres d’une chasse à courre, un « Orage » au premier entracte, puis un robuste « Air de chasse » pour deuxième entracte. Le Roi et le fermier s’avère aussi riche en ensembles, du duo au septuor, sans oublier l’inévitable Vaudeville final.
L’orchestre dirigé par Ryan Brown est d’une belle pâte, mais l’on jugera peut-être que la prise de son, trop réverbérée, n’est guère avantageuse pour les voix, ou du moins qu’elle en privilégie certaines aux dépens des autres. Ainsi Thomas Dolié, qui s’imposait scéniquement dans un petit rôle, souffre-t-il ici d’être comme relégué au second plan sonore dans son unique air. Du moins cet inconvénient présent-t-il l’avantage de rééquilibrer un peu la distribution, ce dont profite au premier William Sharp, baryton dont on salue la belle qualité d’élocution, même si le timbre est parfois un peu léger, l’extrême grave manquant de chair. Thomas Michael Allen a un français beaucoup moins impeccable, un rien nasal, mais cela reste très acceptable, d’autant qu’il assure les seuls passages requérant une certaine virtuosité. L’autre ténor, Jeffrey Thompson, sonne ici un peu moins excessif que dans d’autres incarnations, à moins que son rôle de méchant ne s’accommode mieux de ses travers habituels. Parmi les dames, force est de signaler qu’on ne comprend pas un traître mot de tout ce que chante Yulia Van Doren, que ce soit dans son duo avec son frère ou par la suite, même quand elle est un peu moins frénétique, comme dans son air « Il regardait mon bouquet ». La mise en scène vue à Versailles faisait de Betsy une idiote du village, mais une meilleure articulation du français n’aurait pas été malvenue. Delores Ziegler tire le meilleur parti de l’air de la Mère, où la musique couine et boitille en écho à un texte répétitif. Quant à Dominique Labelle, sa voix ne manque pas de séduction, et convient assez au personnage, avec notamment un grave solide. Comme il convient à une chanteuse québécoise, elle s’exprime dans un excellent français mais la diction se perd parfois un peu, encore que, là aussi, la prise de son y soit sans doute pour quelque chose.
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Le Roi et le fermier (Intégrale) | Pierre Alexandre Monsigny par Ryan Brown