Le principe de l’hommage à un chanteur du passé est décidément un fil directeur très à la mode, même lorsqu’il ne s’affiche pas trop ouvertement. Du reste, serait-ce vraiment un argument de vente d’annoncer un disque honorant la mémoire de Jean-Baptiste Matho ? Même s’il fut « l’une des plus belles voix de taille de la fin du règne de Louis XIV », on ne peut pas dire que le nom de cet artiste suscite les mêmes fantasmes que les plus prestigieux castrats italiens ou que les stars du bel canto. Et comme le précise très justement Jean Duron dans le livret d’accompagnement, la taille est un peu délaissée par la tragédie lyrique, entre la haute-contre, employée pour à peu près tous les héros, et la basse, à laquelle étaient réservés les rôles de majesté. La musique d’Eglise, en revanche, a souvent sollicité cette tessiture : fin 2016, un beau disque nous permettait de goûter les œuvres écrites par Clérambault pour trio vocal masculin, la taille s’insérant entre le timbre plus aigu et le plus grave, disque enregistré par l’Ensemble Sébastien de Brossard dirigé par Fabien Armengaud. On retrouve les mêmes instrumentistes dans un programme de musique religieuse pour la seule voix de taille, avec celui qu’on entendait déjà aux côtés de Cyril Auvity et Alain Buet, Jean-François Novelli, dont la façon de chanter paraît cette fois beaucoup moins déconcertante, et pas seulement parce qu’il n’a pas à associer son style à celui de ses collègues plus « opératiques ». Le chant de la taille possède ici toute la ductilité souhaitable, et a su s’approprier les textes en latin pour les interpréter de manière expressive, qualité suffisamment rare pour être soulignée dans le cas de pièces d’inspiration religieuse. On savourera ici toutes les nuances, ainsi que la virtuosité et la suavité dont le chanteur est tour à tour capable.
Les compositeurs représentés sur ce disque sont nombreux, et appartiennent à diverses époques et tendances, tantôt plus italiennes, tantôt plus françaises. Marc-Antoine Charpentier est évidemment le plus illustre de tous ceux qui ont écrit pour l’Eglise à cette époque : trois de ses œuvres sont ici incluses, composées entre 1679 et 1695. Désormais assez bien connu pour ses opéras, André Campra est présent à travers deux motets, un Quis ego et un Nunc dimittis (cantique de Siméon). Très logiquement puisque l’ensemble instrumental est placé sous son égide, à Sébastien de Brossard revient l’honneur de donner au disque son titre, quelque peu paradoxal : Silentium, premier mot d’un motet d’une grande sensualité – si vous pensiez que la musique d’Eglise était forcément austère, vous allez être surpris –, dont le texte adressé à une belle endromie, l’épouse du Liban, emprunte son langage et son sujet au Cantiques des cantiques. Nom nettement moins familier, Pierre Bouteiller fut maître de chapelle à Troyes et à Châlons dans le dernier quart du XVIIe siècle, mais le plus mystérieux reste « Monsieur Suffret », auteur du long motet de presque douze minutes qui conclut le disque (seul le « Qui ego » de Campra est d’une longueur comparable), pièce assez impressionnante par la variété de ses climats. Quelques respirations instrumentales sont permises par deux danses d’Henry Du Mont et par une « Simphonie » de Louis Couperin, qui donnent aux six instrumentistes de l’Ensemble Sébastien de Brossard l’occasion de passer au premier plan.
Le label « En Phases » semble avec ce récital publier son premier disque, fort beau début si tel est bien le cas, et auquel on souhaite bien d’autres successeurs d’une égale qualité.