Née à Lucerne en 1938, Edith Mathis est encore bien de ce monde, mais cette artiste a toujours cultivé une telle discrétion qu’il serait pardonnable de la croire depuis longtemps disparue. La soprano suisse eut aussi la modestie de ne jamais viser des rôles au-delà de ce que lui permettaient ses moyens vocaux : mozartienne avant tout, elle fut Suzanne, Zerline ou Pamina, sans jamais chercher à aborder des personnages plus lourds. Du Freischütz elle finit par oser Agathe après avoir longtemps été Ännchen. Chez Richard Strauss, c’est seulement en 1990, à la veille de ses adieux à la scène, qu’elle délaissa Sophie pour tenter la Maréchale. Pourtant, en écoutant sa voix, on comprend immédiatement que l’on n’a pas affaire à un petit rossignol car, outre sa fraîcheur souriante et la délicatesse du phrasé, le timbre inclut aussi une distinction, une fermeté qui auraient pu l’inciter à aborder plus tôt des emplois plus risqués. Si virginal que sonne ce chant, il aurait aussi pu se prêter à des héroïnes moins exclusivement juvéniles.
L’an dernier, pour les 80 ans de la soprano, Deutsche Grammophon publia The Art of Edith Mathis, coffret de sept CD regroupant avant tout des extraits d’intégrales de studio. Avec un peu de retard, le label Audite vient à son tour aider l’artiste à souffler les bougies de son gâteau d’anniversaire en publiant, dans sa série « Historic Performances », la captation radio d’un concert donné en 1975 dans le cadre du Festival de Lucerne. Un programme généreux – près d’une heure vingt de musique – et assez original pour introduire Bartók parmi les compositeurs germaniques bon teint.
Ayant participé à plusieurs créations mondiales, notamment celle de l’opéra de Henze Der Junge Lord (1965), Edith Mathis n’avait pas de réticence face à la musique de son temps. Les Chants populaires slovaques de 1924, qui furent également chantés par Irmgard Seefried dans leur version allemande, apportent au programme une touche de modernité sans avoir de quoi effrayer le public. Edith Mathis les aborde avec le même naturel que les autres pages de ce récital.
Le programme se poursuit dans la veine populaire avec quelques-uns des Volkslieder de Brahms. Ce choix nous épargne les pages les plus rabâchées du compositeur. Un regret au passage : Audite n’a pas jugé bon de reproduire les textes des mélodies (sans même parler de leur éventuelle traduction dans un autre idiome).
Passant à Schumann, la soprano retient, de ce copieux cycle pour deux voix qu’est Myrthen, quelques-unes des mélodies plutôt destinées à une interprète féminine, chantées avec une sensibilité pudique et frémissante. Face à Richard Strauss, c’est encore la modestie qui prévaut. Aux divas, Edith Mathis laisse les Morgen, Cäcilie et autres grandes envolées au lyrisme extroverti. On entend ici la voix d’une Zdenka, pas celle d’une Arabella. En bis, un Wolf particulièrement bien choisi, puisqu’il s’agit de l’éloge des petites choses, des perles et des roses si belles malgré leur petite taille.
Concluons avec ce qui ouvrait le récital, et où Edith Mathis reste une référence intemporelle : les lieder de Mozart, qui lui vont comme un gant et qui semblent avoir été écrits pour elle. C’est l’occasion de l’unique incursion hors de la langue allemande, avec « Dans un bois solitaire », que la Suissesse dit dans un français fort correct. Grands moments d’émotion que l’histoire de la tendre violette heureuse d’être piétinée et des autres menus incidents évoqués dans ces poèmes. Par chance, la soprano avait trouvé en la personne de Karl Engel un accompagnateur parfaitement assorti, un pianiste qui ne tirait jamais la couverture à soi, comme si l’un et l’autre rivalisaient de modestie.