David jouant de la harpe aurait-il pu devenir le pendant hébraïque du très hellénique Orphée ? L’histoire de l’opéra ne l’a pas voulu ainsi. Certes, Charpentier composa son David et Jonathas (1688), on doit à Auguste Mermet David, grand opéra (1846), Nielsen a livré Saul og David (1902), Honegger est encore défendu par son Roi David (1923), Hanns Eisler laissa inachevé un très brechtien Goliath entrepris en 1937, le compositeur britannique Samuel Hogarth a conçu un David and Goliath (2007), et l’on pourrait encore en citer quelques autres, mais David est très loin de la gloire lyrique dont a toujours joui le chantre de la Thrace. Son nom n’apparaît même pas dans le titre de l’oratorio dont il est pourtant un protagoniste central, ce Saul de 1739 qui valut à Haendel un succès qui ne se démentit jamais, au même titre que Le Messie. Depuis un demi-siècle, ce Saul, tous les grands baroqueux l’ont enregistré, avec des distributions qui laissent parfois rêveur : Charles Mackerras en 1973 (avec Donald McIntyre et Margaret Price !), Nikolaus Harnoncourt en 1985 (avec Varady et Fischer-Dieskau !!!), Gardiner en 1989, Paul McCreesh en 2004, et quelques autres encore, la dernière version datant de 2012, dirigée par Harry Christophers. Au sein de cette constellation, l’intégrale gravée en 2004 par René Jacobs se distingue d’emblée par la rapidité de ses tempos, puisqu’elle tient en deux CD alors que toutes les autres (sauf Harnoncourt, à cause des coupes) en nécessitent trois ! Deux heures trente au total, soit exactement un quart d’heure de moins que McCreesh. Le Concerto Köln est ici d’une somptuosité totale, et la direction du chef flamand est pleine de cette vie et de cette vigueur qu’on lui connaît. En comparaison, le Rias Kammerchor, malgré ses précieuses qualités, paraît un peu froid, un peu trop policé pour exprimer l’allégresse de certains chœurs de réjouissances.
A part Sarah Connolly en 2012, David est confié à des contre-ténors (après 1739, Haendel attribua le rôle à un castrat après l’avoir initialement conçu pour un ténor) et non des moindres : James Bowman, Paul Esswood, Andreas Scholl. Du musicien-guerrier, c’est plutôt la jeunesse qu’exalte Lawrence Zazzo, pour un personnage qui ne sollicite pas outre mesure la virtuosité et lui convient infiniment mieux que son Jules César parisien. Quant au rôle-titre, le rapide rappel ci-dessus aura montré qu’il est courant d’y employer des chanteurs non spécialistes de la musique du XVIIIe siècle. Wagnérien comme l’était Donald McIntyre en 1973, apprécié dans les rôles de diables (Nick Shadow) et autres êtres démoniaques (Claggart), Gidon Saks se montre acteur magistral dans les récitatifs, il traduit admirablement la folie qui s’empare de Saül, tout en sachant plier sa grande voix aux vocalises qu’exigent parfois ses airs. Jeremy Ovenden a, lui, un profil mozartien qui convient fort bien au personnage plus effacé de Jonathan.
Du côté des dames, Rosemary Joshua ajoute un personnage à sa collection d’héroïnes haendéliennes, et son timbre argentin convient bien à la « gentille » Michal, auquel s’oppose la voix plus corsée mais tout aussi agile d’Emma Bell, la « méchante » Merab. Michael Slattery est une sorcière d’Endor à mourir de rire, qui surjoue la féminité du personnage.
Autrement dit, une version réussie et convaincante, reproposée à un prix défiant toute concurrence, mais pour laquelle on aurait simplement voulu un chœur plus impliqué dramatiquement.