Après La forza delle stelle, San Giovanni Crisostomo et Santa Editta, le « Stradella Project » de l’Ensemble Mare Nostrum se poursuit, le label Arcana persévérant courageusement dans cette entreprise de longue haleine. Les précédents volumes n’ont hélas pas toujours su convaincre, mais cette Santa Pelagia pourrait bien faire exception à la règle.
Danseuse et prostituée d’Antioche, dont la beauté inspira l’évêque Nonnos d’Edesse un discours qui la poussa à se convertir et à vivre en recluse dans une cellule au Mont des Oliviers, sainte Pélagie n’a inspiré que très peu d’œuvres picturales ou musicales et, outre Stradella, seul Marcantonio Ziani eut l’idée de lui consacrer un oratorio.
La Santa Pelagia de Stradella est connue grâce au seul manuscrit conservé à la Biblioteca Estensa de Modène ; le livret en fut publié à l’occasion d’une exécution donnée en 1688, six ans après la mort du compositeur. D’après divers recoupements, l’oratorio daterait de 1677, date où Stradella quitta Rome pour se réfugier à Venise. Le livret refuse l’anecdote pour se limiter à une discussion quasi théologique entre Pélagie, l’évêque et deux idées abstraites : la Religion (un contre-ténor) et le Monde (une basse). La moitié des airs reviennent à l’héroïne éponyme, qui y décrit le luxe de sa vie profane ; après avoir longtemps joui des délices du Monde, elle finira néanmoins in extremis par écouter la voix de la Religion.
Comme pour les précédents volumes, le travail d’Andrea De Carlo à la tête de l’orchestre est tout à fait convaincant dans sa restitution de cette partition, mais la nouveauté est cette fois que les voix savent elles aussi retenir notre attention. Le seul point faible est sans doute le ténor Luca Cervoni, qui a une fâcheuse tendance à nasiller ses aigus et dont la vocalisation paraît bien laborieuse. Heureusement, l’évêque n’a qu’un rôle assez réduit. Sergio Foresti n’avait pas séduit notre collègue Bernard Schreuders dans Santa Editta, mais il paraît ici bien plus inspiré par son rôle de tentateur permanent. Raffaele Pe prête à la Religion la pureté de son timbre sans vibrato. Mais c’est surtout sur Roberta Mameli que repose la réussite de cet enregistrement : la soprano sait faire vivre son personnage, grâce à son art de ciseler les mots et grâce à l’énergie qu’elle déploie tant dans les airs que dans les récitatifs, séductrice dans le profane, pénitente dans le sacré. Espérons que les prochaines livraisons de cette série feront preuve d’autant de discernement dans le choix de leurs interprètes.
Rappelons enfin qu’il existait déjà un enregistrement de cette Santa Pelagia, dû à l’ensemble I Musici di Santa Pelagia dirigé par Maurizio Fornero (sorti en 2008 chez Stradivarius).