On ne s’improvise pas interprète des Vier letzte Lieder. Il faut pour chanter ces pages une hauteur de ton qui n’est pas donnée à tout le monde, et certaines voix s’y sont fourvoyées, se fondant sur leur seule opulence pour s’en autoproclamer dignes. Avec Diana Damrau, le cas est plus compliqué. L’artiste chante dans sa langue, elle comprend ce qu’elle chante, c’est déjà beaucoup. Elle connaît son Strauss, pour avoir été une Sophie et surtout une admirable Zerbinette. Mais justement, on voit pointer là le début du problème. Parmi celles qui ont marqué l’histoire de l’interprétation des Quatre Derniers Lieder (on aimerait pouvoir dire « et ceux », mais parmi les quelques messieurs qui l’ont tenté, en est-il un seul qui ait marqué durablement les esprits ?), y eut-il jamais une soprano qui était régulièrement sur les scènes Lucia, Ophélie ou Juliette alors même qu’elle donnait en concert l’ultime chef-d’œuvre de Richard Strauss ?
Bien sûr, on pourrait dire que c’est là ce qui fait l’intérêt du disque : entendre cette partition confiée à une voix différente, qui y apporte autre chose que n’avaient pas toujours les grandes titulaires du passé. Malgré tout, pour certains passages qui fonctionnent bien, il y en a aussi beaucoup où l’on ne peut s’empêcher de penser que ce timbre n’est décidément pas celui qu’appellent les Vier letzte Lieder. On voudrait ici une Arabella, une Ariane, une Maréchale dans toute sa splendeur, et l’on n’a qu’une ex-Sophie, dont les aigus ont perdus la précision cristalline de jadis sans que la voix gagne beaucoup en ampleur et en étoffe pour compenser. Et un vibrato assez prononcé se fait entendre à chaque note tenue un peu longuement.
Evidemment il y a Mariss Jansons, dans ce qui restera peut-être l’un de ses ultimes enregistrements. Le chef letton parvient à tirer le meilleur de l’orchestre symphonique de la radio bavaroise, avec des tempos très lents, notamment dans le passage où la voix se tait dans « Beim Schlafengehen », avec un solo de violon qui trahit une résignation de fin de jour et de fin de vie. L’orchestre se montre tout aussi poignant dans « Morgen », tout aussi étiré.
Une particularité de ce disque est d’associer lieder avec orchestre et lieder avec piano. La transition après les Quatre Derniers Lieder est assez brutale, et l’on a d’abord l’impression que l’instrument a été enregistré dans une chambre froide, les doigts glacés du pianiste ne pouvant émettre dans « Malven » que des sonorités congelées. Helmut Deutsch se réchauffe ensuite, heureusement, et tout s’arrange dès lors que Diana Damrau aborde des mélodies écrites pour sa voix. Les Mädchenblumen sont tout à fait réussis, de même que les Lieder der Ophelia dont le pianiste estompe un peu l’originalité d’écriture de l’accompagnement, toutefois. Si elle s’était bornée à proposer un programme de lieder pour voix et piano, plus respectueux de ses véritables moyens, et qui ne l’aurait pas obligée pas à forcer, la soprano aurait sans doute convaincu davantage.
Rita Streich voulut-elle jamais enregistrer les Quatre Derniers Lieder, ou même les chanter ? Sans doute pas, et elle eut bien raison.