Curieusement, les plus grands chanteurs américains ne semblent guère soucieux d’interpréter la musique de ceux qui nous semblent être les plus grands compositeurs américains. Peut-être estiment-ils que celle-ci ne met pas assez leur voix en valeur. Joyce DiDonato chante Jake Heggie (hélas), Renée Fleming chante Kevin Puts, et Thomas Hampson, lui, chante Richard Danielpour.
Que ce dernier n’ait pas de ce côté-ci de l’Atlantique la notoriété d’un Philip Glass ou d’un John Adams, on ne le contestera guère : sa musique n’a à peu près rien de commun avec celle des minimalistes ou répétitifs et ne correspond donc pas à une certaine vision de l’avant-garde américaine. Pourtant, on aurait tort de mettre ce compositeur né en 1956 dans le même sac qu’un Jake Heggie, son cadet de cinq ans seulement, qui enchaîne actuellement les opéras un peu partout à travers les Etats-Unis. Bien que dépourvue des habituels signes extérieurs de modernité, la musique de Richard Danielpour sait créer l’émotion, en s’appuyant sur les textes de grands auteurs. A la toute fin du siècle dernier, Frederica Von Stade avait gravé ses Elegies, en duo avec Thomas Hampson. C’est sur les épaules de ce même baryton que repose presque tout le programme du disque publié par Naxos.
Enregistré en 2015, ce disque arrive évidemment à un moment de sa carrière où Thomas Hampson n’a plus tout à fait la même souplesse, la même aisance dans l’aigu que du temps de sa verte jeunesse. Il reste malgré tout un interprète de tout premier plan, particulièrement capable de donner tout leur sens aux poèmes de Yeats ou de Walt Whitman ici retenus. Commande du baryton, Come Up From the Fields Father était à l’origine un cycle de sept mélodies pour voix et piano, composé en 2008. Après la création, Richard Danielpour a décidé d’orchestrer cinq d’entre elles, qui ont été créées en mars 2015, sous le titre War Songs, toujours par Thomas Hampson (le présent disque est un écho direct de cette re-création). Peut-être à cause de la thématique – la mort, l’univers guerrier – ou à cause des effectifs initialement prévus, le compositeur semble avouer ici une très nette filiation avec Mahler, dont on reconnaît à plus d’un instant les accents grinçants et les marches militaires qui se délitent un peu.
Les six Songs of Solitude ont été composées au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001. Même si, à les entendre, on pourrait parfois croire qu’elle date d’un demi-siècle auparavant, elles possèdent une expressivité incontestable, une réelle efficacité, et pas seulement lorsqu’elles flirtent ouvertement avec la comédie musicale (comme c’est le cas du troisième numéro, « Drinking Song ») ; loin de la véhémence des premiers chants, la méditation de l’Epilogue s’avère particulièrement poignante. La partition, à l’écriture soignée, offre aux instrumentistes du Nashville Symphony de nombreuses occasions de se mettre en avant, sous la baguette de Giancarlo Guerrero, un habitué des compositeurs américains d’aujourd’hui.
Toward the Splendid City est une page symphonique bien antérieure, dont le côté primesautier tranche sur la gravité des deux cycles vocaux. L’élan rythmique présent dès les premières mesures ne se relâche à aucun moment, et ces huit minutes trente de musique, pour n’avoir rien de révolutionnaire, ne s’en écoutent pas moins agréablement.