« The greatest soprano of the twentieth century », proclame fièrement la devanture de ce coffret Urania consacré à Renata Tebaldi (1922-2004), tandis que le visage de la diva, d’un glamour colorisé très holywoodien est surplombé du frontispice sans appel : « The Queen ». Diantre ! Qu’il nous soit permis de trouver cette présentation un rien présomptueuse.
Pour un peu, on pourrait croire cette pochette tout droit sortie de l’époque où d’aucuns producteurs et journalistes créèrent de toute pièce, pour un public avide de sensationnel, une supposée rivalité entre Renata Tebaldi et Maria Callas. Entre les des deux camps de cette véritable guerre des tranchées des scènes lyriques, c’était à qui ferait le plus assaut de mauvaise foi pour magnifier sa championne et discréditer sa rivale. Avec le recul, cette rivalité aussi frénétique que factice prête à sourire, tant il apparait vain d’opposer ces deux artistes. Que l’on prenne la peine d’identifier les rôles sur lesquels Callas et Tebaldi furent vraiment, durant leurs carrières respectives, en situation de concurrence : Tosca, Leonora de Forza, Aïda ? Aucune comparaison sérieuse n’est, en particulier, possible dans le répertoire belcantiste, demeuré totalement étranger à Tebaldi (jusque dans ses survivances verdiennes : l’absence de trille dans « D’amor sull’ali rosee » vient le rappeler).
Oui, Renata Tebaldi fut, dans le répertoire italien, une des sopranos les plus marquantes de la deuxième moitié du XXème siècle. « The greatest soprano of the twentieth century » ? Le ridicule péremptoire de ce slogan pourrait prêter à sourire. Rétablissons donc les choses à leur juste proportion, puisque, somme toute, cet intéressant coffret nous y invite.
Saluons, pour commencer, la cohérence du contenu des trois disques qui composent le coffret : le premier regroupe les premières prises effectuées par Tebaldi pour Cetra et Decca en 1949 et 1950, et montre l’artiste à l’aube de sa carrière. Le deuxième reprend des enregistrements Decca réalisés entre 1955 et 1958, qui exposent Tebaldi dans l’éclat de sa maturité. Le troisième regroupe enfin des scènes et duos extraits des intégrales réalisées pendant la décennie 50 pour Decca (si l’on excepte le Turandot de 1960, édité par RCA). Voilà qui change des récitals dont les titres s’enchaînent en dépit du bon sens, sans aucune cohérence chronologique. Saluons également le choix de montrer d’abord et avant tout ce qui constitue le cœur du répertoire de Tebaldi (le Verdi de la maturité, l’école vériste) et non ses marges (néanmoins présentes ici à travers Mozart, Tchaïkovski, Haendel et Scarlatti).
Les inconditionnels de Tebaldi, il faut le reconnaître, ont quelques arguments à faire valoir. Ces trois disques permettent d’apprécier une voix opulente et riche, en particulier dans le medium, un timbre chaud et une grande pureté dans l’émission. C’est particulièrement vrai des enregistrements du premier disque, réalisés au tout début de la carrière de Tebaldi, et qui semblent donner raison à Arturo Toscanini qui passe pour avoir gratifié Renata Tebaldi de ce jugement définitif « Voce d’angelo » (l’anecdote est assez largement apocryphe, mais qu’importe…). On est conquis par cette voix foncièrement saine, effectivement angélique par sa pureté, ce qui nous vaut notamment des Puccini renversants de beauté. Il n’est pas jusqu’à la Marguerite de Faust (en italien, hélas) qui ne surprenne par son maintien, sa grâce délicieuse (et un aigu final radieux), et qui nous fasse regretter que Tebaldi n’ait pas enregistré le rôle complet (en français, cette fois…).
Le deuxième disque vient conforter ce jugement flatteur : on placera au pinacle les deux airs de Leonora de Forza (extraits de l’intégrale Decca de 1955) ainsi que l’air d’Adriana Lecouvreur, et on avouera avoir trouvé à cette Comtesse des Noces de Figaro une ligne et des accents d’une sincérité peu commune. A oublier, en revanche, les airs baroques, accompagnés au piano, irrémédiablement exotiques.
Le disque de duos trouve notre diva égale à elle-même, entourée notamment de Carlo Bergonzi (pour le duo d’amour de Madame Butterfly grisant quoiqu’un brin placide et le duo final d’Aïda, dirigée avec une lenteur sépulcrale par Karajan) et d’un Mario del Monaco tout en exhibitionnisme vocal, comme à son habitude (Tosca, Otello, André Chénier).
Plusieurs bémols empêchent néanmoins notre bonheur d’être total.
Reconnaissons, en premier lieu, que la caractérisation des rôles n’a jamais été le fort de Renata Tebaldi. Elle a ainsi tendance –surtout en studio- à déployer en permanence une palette expressive réduite et ne parvient pas à se départir d’accents plébéiens, qui gênent à la longue, et contribuent à conférer un son chant un caractère quelque peu daté.
Il serait malhonnête, par ailleurs, de ne pas évoquer ce qu’il faut bien appeler des problèmes vocaux, que l’on décèle dans les enregistrements présents dans ce coffret. Dès le milieu des années 1950, l’ange bat de l’aile. On voit en effet apparaître dans le chant de Tebaldi une pointe d’inconfort dans l’aigu (ce qui occasionne, à plus d’une reprise, des problèmes de justesse), ainsi que des duretés et des stridences dans le haut médium. Ces difficultés audibles (pas très différentes, finalement, de celles rencontrées par Callas…), intervenues à un stade encore précoce de la carrière, ne manquent pas d’interroger, et nous conduisent à émettre une hypothèse sacrilège : et si Renata Tebaldi était en réalité une mezzo–soprano qui ne se le serait jamais avoué ?