La veille de sa mort, Bruno Walter écrivit : « Je reste convaincu que Palestrina perdurera. Cet opéra offre tous les éléments de l’immortalité ». Des cinq opéras de Hans Pfitzner (1869-1949), seul a survécu Palestrina – dont Walter avait dirigé la création en 1917 à Munich –, et encore, sur les scènes germanophones presque exclusivement (à Paris, l’œuvre fut imposée par les nazis en avril 1942, en français, avec José de Trévi et José Beckmans). Les reprises récentes d’autres titres sont restées sans lendemain : en 1999, Zurich avait ainsi redonné sa chance à Die Rose vom Liebesgarten (1901), dirigé à la création par Gustav Mahler, qui mettait cette œuvre sur le même plan que La Walkyrie ou Tristan.
A l’écoute de ce disque, on se dit que Pfitzner était peut-être mieux fait pour les formes brèves, où il excelle (la firme cpo a déjà enregistré l’intégrale des mélodies avec piano de Pfitzner, un coffret de cinq CD réunissant le gratin des Liedersänger allemands – Iris Vermillion, Christoph Prégardien, Andreas Schmidt, entre autres). On entend ici une musique toujours en mouvement, riche en changements d’atmosphère, forte, capable de paroxysmes éclatants comme de légèreté rêveuse. On croit parfois avoir affaire à du Strauss, à du Mahler, à du Zemlinsky. L’expressionnisme halluciné et les bribes de ritournelles militaires de Der Trompeter évoque inévitablement le « Revelge » du Knaben Wunderhorn ; pour dépeindre les lutins de Die Heinzelmännchen, l’orchestre se fait narquois, avec glissandos sarcastiques et autres effets cocasses. Nachts commence sur le même mode sombre que le premier des Quatre derniers lieder et se termine sur le même apaisement que « Im Abendrot », composé sur un poème du même Eichendorff par un contemporain de Pfitzner, l’un peu moins « nazillard » Richard Strauss.
Le baryton Hans Christoph Begemann, qui se produit surtout sur les scènes provinciales allemandes, a fait la couverture de Opernwelt en mars dernier et vient d’aborder Jochanaan. Le timbre est agréable, la voix est souple, avec de beaux graves et des facilités dans l’aigu ; l’interprète, expressif, accorde tout leur relief aux mots sans jamais tomber dans le maniérisme. Il sait incarner les quatre personnages de Herr Oluf, superbe variation sur le Roi des Aulnes, sur un poème de Herder, où un chevalier est tué par la fille de l’Erlkönig pour avoir refusé de danser avec elle la veille de ses noces. Lethe est une autre réussite, qui permet d’imaginer le beau Wozzeck que Begemann pourrait être. Le disque se clôt sur trois superbes lieder d’après des poèmes de Goethe, mis en musique puis orchestrés à des périodes diverses de la carrière de Pfitzner, entre 1906 et 1938. Mieux qu’une découverte, la double révélation d’un interprète et d’un compositeur.