Contrairement à ce que son titre pourrait laisser supposer, ce CD ne recèle pas la moindre gravure d’une partition inédite de Puccini, redécouverte dans les caves d’une bibliothèque poussiéreuse du fin fond de l’Italie. Il s’agit en fait, comme le précise le musicologue Michael Kaye dans la plaquette de présentation, « du premier enregistrement commercial réunissant à côté de quelques pièces pour orchestre peu connues, plusieurs versions alternatives ou variantes abandonnées […] d’airs et ensembles d’opéras ».
En clair, à l’exception du Preludio a orchestra composé par un Puccini de dix-huit ans et de l’anecdotique Adagetto per orchestra da camera, on peut considérer la plupart des autres extraits que comporte le CD comme des brouillons que le compositeur a jugé bon de remanier ou d’éliminer. L’intérêt principal de l’entreprise est de permettre à l’auditeur d’appréhender la manière dont Puccini a peaufiné ces musiques à travers les étapes ultimes de leur composition.
A cet égard l’extrait de Madame Butterfly est assez éloquent : on le sait, la création de l’ouvrage à la Scala en février 1904 s’est soldée par un échec retentissant. Quelques mois plus tard, à Brescia, la partition révisée connaît un succès qui ne s’est jamais démenti depuis. La comparaison entre la première version de l’air « Con onor muore » et sa version définitive montre comment Puccini, moyennant quelques retouches et d’infimes coupures est parvenu à donner à cette page en même temps qu’une plus grande concision, une charge émotionnelle d’une intensité qu’on chercherait en vain dans sa première mouture. La même constatation s’impose à l’écoute de la « version originale » de « Sola, perduta, abbandonata » tirée de Manon Lescaut.
Si l’extrait de La Fanciulla ne diffère de la version habituelle que par quelques mesures supplémentaires, celui de Suor Angelica bénéficie d’une musique différente qui n’est pas dénuée d’intérêt. Cependant, les pages qui retiennent davantage l’attention sont celles d’Edgar, éliminées par Puccini, notamment le duo d’amour « Sia benedetto il giorno » (plage 4) dont le compositeur réutilisera une partie de la musique dans La Bohème et Tosca.
Enfin, on ne qualifiera pas de brouillon mais plutôt d’avatars les deux extraits de La Rondine qui proviennent d’une version donnée à Vienne trois ans après la création de l’ouvrage à Monte Carlo, dans laquelle le rôle de Prunier est dévolu à un baryton. Il s’agit du quatuor « Ed ora bevo all’amor » et d’un air supplémentaire pour Ruggero , « Parigi ! E’ la città dei desideri », que Roberto Alagna avait réintroduit au sein de l’intégrale qu’il a gravée en 1997 pour EMI.
Violetta Urmana se taille la part du lion en interprétant cinq des six airs qui figurent sur ce CD. Sa grande voix de soprano dramatique confère à l’air de Minnie et aux ultimes interventions de Cio Cio San et Manon une caractérisation en tout point idoine. Elle donne également une interprétation remarquable du brindisi inédit de Tigrana extrait d’Edgar (plage 12). En revanche, elle peine à exprimer toute la fragilité de Suor Angelica et sa Magda, affectée d’un aigu par trop strident dans le quatuor du deuxième acte, est hors de propos.
Les admirateurs de Placido Domingo resteront sur leur faim puisque la participation du ténor se limite au duo d’Edgar (plage 4) et à l’air de Ruggero, dont la tessiture centrale convient idéalement à ses moyens actuels et révèle un timbre intact qui ne trahit nullement son âge.
On l’aura compris, cet enregistrement s’adresse essentiellement aux inconditionnels de Puccini avides d’inédits même si, comme le précise Michael Kaye, « le compositeur ne souhaitait pas nécessairement que [ces pages] fussent toutes présentées au public. » Cependant, une fois satisfaite la curiosité d’entendre ces versions alternatives, il ne fait aucun doute que l’auditeur ne manquera pas de revenir aux versions traditionnelles.
Christian Peter