Après Amoureuses, (2008) consacré aux héroïnes de Mozart, Haydn et Gluck, Rosso (2010), qui fait la part belle au baroque italien (Sartorio, Stradella, Haendel, Scarlatti, Vivaldi…), voici Melancolia, troisième récital de Patricia Petibon chez Deutsche Grammophon, consacré cette fois à l’Espagne.
Ce choix a, à premier vue, de quoi surprendre. Il transporte en effet notre pétulante soprano loin de ses bases, qui se situent à l’origine sur les terres de l’opéra baroque. Patricia Petibon s’en explique dans le livret qui accompagne le disque. On ne cherchera évidemment pas ici à remettre en cause la sincérité de son attachement à la musique et à la culture espagnoles. Qu’il nous soit néanmoins permis d’émettre des réserves sur le résultat, qui débarque ces jours ci chez les disquaires à grand renfort de réclame.
Ces réserves sont de deux ordres. Elles tiennent d’une part à l’adéquation de la voix et de la personnalité de Patricia Petibon à ce répertoire. On n’arrive pas, pour tout dire, à se défaire d’une impression d’artifice. Suffit-il de parsemer ses phrases de « Ay ay ay », sur fond de guitares endiablées et de castagnettes aguicheuses, pour entrer en communion avec cette hispanité supposée être le fil rouge de cet album ? On nous objectera que poser la question, c’est déjà y répondre, et on aura raison. Là où Patricia Petibon convainc le plus, c’est quand elle joue la carte de la simplicité, sans affecter un hispanisme de pacotille (« El vito », « La tarántula é un bicho mú malo») ou des sentiments outrés. On saluera en particulier de magnifiques « El mirar de la maja », de Granados, et « Silencio mi niño », tiré des quatre pièces composées par Nicolas Bacri pour Patricia Petibon à l’occasion de l’enregistrement de ce récital. La mélancolie s’y exprime de façon poignante, dans la retenue et l’économie d’effets, de manière finalement bien plus universelle.
Les réserves qu’inspire cet album tiennent, d’autre part, à la voix de Patricia Petibon. Le vibrato devient par moments envahissant (« Petenera », « Sólo »), la difficulté à tenir certaines lignes franchement problématique, quand elles culminent sur des aigus douloureux, voire carrément désagréables (« Hay quien dice »). A l’autre extrémité, le grave parait bien souvent artificiel. On restera enfin dubitatif devant certains effets très étudiés (émission artificiellement grossie, sons pris par en dessous, ports de voix, comme dans « Ogundé uareré »), dont le résultat est pour le moins discutable.
Au bilan, voici un récital dont la démarche procède d’une évidente sincérité, mais dont le résultat laisse perplexe. Fallait-il, pour permettre à notre soprano de s’encanailler dans un répertoire qui n’est pas naturellement le sien, la conduire à exposer de la sorte ses limites ? Souhaitons qu’après cette excursion un brin aventureuse, Patricia Petibon nous rassure en revenant à des répertoires sans doute moins exotiques, mais où son réel talent trouve plus spontanément à s’épanouir.